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Au-delà s’étend Rome tout entière, Rome immense depuis la place du Peuple jusqu’à la pyramide de Cestius, Rome avec ses toits rustiques recouverts d’une mousse flétrie et jaunâtre. Rome avec ses splendeurs que rien n’égale, et qu’annoncent dans un langage ; superbe ses dômes et ses coupoles. Au loin, on aperçoit les ombrages du Pincio, les jardins de Salluste, le grand ravin verdoyant qui sépare le Quirinal de l’Esquilin et que domine Sainte-Marie-Majeure ; plus près la tour du Capitole, le Palatin avec ses cyprès, ses myrtes et ses grenadiers entremêlant leurs feuillages aux immenses arcades ruinées du palais des césars, l’Aventin désert et ses églises solitaires environnées de cultures, le Celius à la croupe allongée qui se termine par la sublime basilique de Saint-Jean-de-Latran. Malgré la distance, je voyais se profiler sur le ciel les statues qui la surmontent, tant l’air était limpide ! On eût dit des esprits célestes en tournée sur la terre, et qui, se posant un instant sur ces corniches, reprenaient haleine avant de s’envoler vers le ciel. Plus loin, la plaine onduleuse et nue ; plus loin encore les monts Albains baignés d’une lumière violette, — puis les plans fuyans des montagnes de la Sabine, qui noyaient leurs cimes dans de fauves nuées, et dont la teinte purpurine allait se dégradant par des nuances insensibles jusqu’au gris cendré des lointains aériens. En retournant la tête, j’apercevais le mont Vatican, Saint-Pierre, une ligne de plus se dessinant sur l’horizon étincelant, des figuiers et des broussailles imprégnées d’une poussière d’or, et plus près de moi le bassin dans lequel tremblotaient les dernières lueurs du soir, nappe d’argent liquide où je voyais courir par instans de longs frissons de lumière rose.

Je m’assis au pied du chêne, et Torquato s’y assit avec moi. Il était bien pâle, il tremblait la fièvre. — Demain, lui dis-je, tu te mettras au lit pour n’en plus sortir. Regarde Rome une dernière fois. Ici tu vois ce palais de Monte-Giordano que tu habitas dans ta première jeunesse, et qui te reçut plus tard encore à ton retour de France ; il est resté tout plein de tes rêves. Ailleurs tu aperçois l’église et le couvent de Sainte-Marie-du-Peuple, asile ouvert à l’indigence de ton âge mûr. Sans ces bons pères, depuis longtemps tu serais mort de faim. Derrière toi se dresse ce Vatican où tu passas tant d’heures dans de mortelles attentes toujours trompées. Ici tu vois le Capitole, où se font les apprêts de ton couronnement, apprêts, hélas ! inutiles ; la fièvre qui te dévore ne te le dit que trop. Ah ! détourne plutôt les yeux de cette ville où tu as tant souffert ; contemple ces montagnes, suprême ornement de ce vaste tableau. Ces hauteurs accidentées, mais continues, qui l’encadrent d’une ligne horizontale infinie, communiquent à l’âme des aspirations immenses mêlées aux