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ministre russe refuse à l’Angleterre l’armistice en le déclarant impraticable, il n’est que moqueur à contre-temps; quand il a l’air d’accuser la France de complicité avec les menées révolutionnaires et de connivence dans l’agitation de la Pologne, il n’est qu’insolent; mais quand, non content de refuser la conférence, il dénie à ceux qui ont signé et garanti les traités le droit d’en surveiller l’exécution, c’est dans son essence même qu’il attaque le droit diplomatique, c’est dans leur autorité légitime qu’il offense les puissances auxquelles il s’adresse. Lord Palmerston, en parlant de la position que les traités de Vienne ont créée à l’Angleterre vis-à-vis de la Pologne, établissait, il y a quelque temps, devant la chambre des communes une distinction fort juste. «Ces traités, disait-il, nous donnent le droit d’intervenir pour en assurer l’exécution, mais ne nous imposent point l’obligation d’intervenir. » Cette distinction est profondément vraie : il tombe sous le sens que les signataires d’un traité ont le droit de le faire exécuter; sans cela, que deviendrait l’autorité des traités? Mais il tombe également sous le sens que ceux qui possèdent un tel droit ont la faculté de s’abstenir d’en faire usage, si cela leur convient. Dans sa veine d’audace intempérante, le prince Gortchakof n’y regarde pas de si près; il ne ménage pas même l’assertion discrète de lord Palmerston et les timides ré- serves de l’Angleterre. A ceux qui, sans en avoir l’obligation légale, ont néanmoins le pouvoir de lui prescrire l’exécution d’un traité, il conteste et nie tout droit semblable, et ne laisse, en les narguant, qu’une stérile et ridicule liberté d’appréciation. Nous sommes sûrs que les ministres de France et d’Angleterre ne laisseront point passer sans la châtier comme elle le mérite une pareille impertinence.

La légèreté n’est jamais loin de la présomption. Après avoir enjambé si lestement la base du droit diplomatique, le prince Gortchakof est allé commettre la plus grossière étourderie. On lui proposait une conférence à huit; il a cru répondre par une contre-proposition d’une conférence à trois entre la Russie, la Prusse et l’Autriche. Certes la riposte était blessante au plus haut degré pour l’Angleterre et pour la France. Au moment où les puissances occidentales s’efforcent d’atténuer les maux de la Pologne, il y avait une sorte d’effronterie à leur dire de ne point se mêler de ce qui ne les regardait pas et à laisser encore une fois la Pologne à la discrétion des trois puissances qui l’ont démembrée. Le coup cependant a paru habile au prince Gortchakof; le cabinet russe a cru sans doute qu’il lui serait possible de tirer ainsi parti des hésitations de l’Angleterre, de rejeter cette puissance dans l’inaction et de placer la France dans l’isolement. Au ton de la dépêche russe adressée à la France, on eût dit que le prince Gortchakof était déjà sûr de son fait. Cette présomption a été punie sur-le-champ par la déception la plus cruelle. Le prince Gortchakof, dans son projet de conférence à trois, avait disposé de l’Autriche sans son aveu. Soit naïveté, soit vanité, il s’est cru au temps où l’empereur Nicolas se figurait avoir l’Autriche dans sa poche, et pensait pouvoir l’engager sans la consulter. L’énergique et