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dans la brume. Enfin le rideau se lève, et un immense massif apparaît aux yeux des heureux voyageurs ; il leur semblait revoir le groupe majestueux de la Jungfrau, tel qu’on l’embrasse du haut de la Wengern-Alp, quand ses blanches cimes s’élèvent, resplendissantes de clarté, au-dessus des brouillards de la vallée. Rien ne saurait peindre la joie des voyageurs ni la satisfaction du capitaine, qui avait su trouver, malgré la brume, le calme et les vents contraires, cet îlot perdu au milieu de la mer glaciale.

« Le 20 août (dit M. Vogt, dont nous ne craignons pas de reproduire le récit avec tous ses détails), à deux heures et demie du matin, le capitaine nous réveilla. Il faisait un froid très vif, car le thermomètre marquait seulement 3 degrés au-dessus de zéro ; mais la vue était magnifique. La pleine lune se couchait dans le sud- ouest, et au nord-est l’aurore annonçait le lever du soleil. Entre les deux astres, l’immense montagne, parfaitement claire, s’élevait dans un ciel sans nuages. Le brouillard avait disparu, sauf quelques petits flocons qui se dissipaient à vue d’œil. L’aspect du Beerenberg est celui de l’Etna, mais plus grandiose, parce que sa base est moins large et ses pentes latérales plus rapides. Ce que nous prenions hier pour des pointes isolées, ce sont les bords du cratère chargés de masses de neige énormes et découpés en dentelures, entre lesquels sont de profonds ravins. Il est probable que le cratère lui-même est rempli de neige. Les glaciers descendent jusqu’à la mer, où ils forment des escarpemens de 300 mètres de haut. Plusieurs d’entre eux sont recouverts de sable, de cailloux, de blocs et de cendre ; d’autres sont plus propres à la surface, mais aucun d’eux n’est parfaitement blanc, quoique la neige les recouvre jusqu’à leur base. Les glaciers remplissent les ravins, dont les crêtes surplombent ; on voit distinctement qu’elles sont formées de couches de lave superposées. Ces laves se terminent à la mer par des escarpemens stratifiés horizontalement, contre lesquels la mer se brise en formant de véritables jets d’eau. La partie moyenne de la montagne est occupée par un immense glacier, interrompu seulement çà et là par des arêtes rocheuses. Nous étions tous le crayon ou le pinceau à la main, lorsque le soleil se leva et illumina tout le côté oriental de la montagne. Au bout de quelques heures, nous essayâmes d’aborder. On arma le grand canot, dans lequel nous pûmes tous prendre place. Nous ramons pendant une heure, et au bout de ce temps la terre ne nous paraît pas plus rapprochée qu’au moment où nous quittions le navire. Enfin, au bout de deux heures, nous touchons la côte. Devant nous se dressent des murailles composées de couches compactes de lave grise semblables aux marches d’un gigantesque escalier ; entre elles des magma de roches brisées décomposées, tantôt rouges comme du cinabre, tantôt noires ou de couleur terreuse. D’innom-