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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/887

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contrainte de céder ; elles ont eu à leur tour leur philosophie, qui n’est autre, il faut le dire, que le plus pur matérialisme. Le chef et le propagateur de ce nouveau mouvement a été M. Moleschott.

Évidemment l’école de Moleschott donne la main à l’école de Feuerbach. Celle-ci a rendu l’autre possible ; mais il y a une grande différence entre elles deux, elles ont deux origines différentes. L’école de Feuerbach a une origine hégélienne ; elle est née de la dialectique; sans doute elle arrive aussi au matérialisme, mais c’est par la déduction, par l’entraînement logique des idées. C’est un matérialisme abstrait, accompagné de fanatisme athée et de passion politique mêlée d’illusion. M. Proudhon représente assez bien chez nous cette espèce de philosophie raisonneuse, violente et chimérique. Le matérialisme de Moleschott et de ses amis a un tout autre caractère : c’est un matérialisme physiologique fondé sur la science, sur les connaissances positives, sur l’expérience. L’école nouvelle ressemble plutôt à l’école de Cabanis, de Broussais et de Littré. Ce qui animait Feuerbach, c’était l’esprit révolutionnaire; ce qui anime Moleschott, c’est l’esprit positif, l’esprit des sciences. En un mot, c’est la revanche de l’empirisme contre la frénésie de la spéculation rationnelle a priori.

Le premier écrit où se trouvent exposées les doctrines de la nouvelle école est le livre de Moleschott intitulé le Cours circulaire de la vie (Kreislauf des Lebens) ouvrage dont la première édition est de 1852, et la dernière ou quatrième de 1862. C’est un recueil de lettres adressées au célèbre Liebig sur les principales matières de la philosophie : l’âme, l’immortalité, la liberté, les causes finales. Dans ce livre, Moleschott pose le principe du nouveau matérialisme : « Sans matière point de force, sans force point de matière. » Il soutient l’hypothèse d’une circulation indéfinie de la matière, qui passerait sans cesse du monde de la vie au monde de la mort, et réciproquement, et il exalte ce qu’il appelle la toute-puissance de ses transmutations (Allgewalt des Stoffenwechsels).

Le livre de Moleschott fit un grand bruit en Allemagne et secoua la léthargie philosophique des esprits; mais ce qui détermina surtout l’explosion du débat entre le matérialisme et le spiritualisme, ce fut le discours prononcé en 1854 à Goettingue, devant la réunion des médecins et naturalistes allemands, par M. Rodolphe Wagner, l’un des premiers physiologistes de l’Allemagne. Dans ce discours, intitulé de la Création de l’homme et de la substance de l’âme[1], M. Wagner examina cette question : « Où en est aujourd’hui la physiologie, d’après ses derniers résultats, par rapport à l’hypothèse

  1. Menschenschöpfung und Seelensubstanz, Goettingue 1854.