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n’en est pas moins vrai que, loin d’avoir blâmé la capitation en principe et de se l’être laissé imposer, il la trouvait avec raison très juste et très équitable, et s’il y a un reproche à lui adresser, c’est de ne l’avoir pas appliquée dès les premiers temps de son ministère, et surtout de ne l’avoir pas fait maintenir après la guerre, car il se serait ainsi dispensé de créer cette myriade d’emplois inutiles ou vexatoires dont il nous reste à parler. La déclaration du 15 janvier 1695 assujettit à la capitation, dans la proportion de leurs revenus, le clergé, la noblesse, les militaires, les simples particuliers. Les taillables dont les cotes étaient inférieures à 40 sous (plus tard ce chiffre fut réduit à 20), les membres des ordres mendians et les pauvres mendians signalés par les curés des paroisses furent seuls exemples de l’impôt. Un tarif comprenant vingt-deux classes de contribuables accompagnait la déclaration. La première classe, dans laquelle figurait seul l’héritier de la couronne, fut taxée à 2,000 livres; la seconde à 1,500, la troisième à 1,000, etc., jusqu’à 20 sous, chiffre de la dernière classe. Le produit annuel atteignit 25,400, 000 livres, y compris 4 millions auxquels le clergé s’était imposé par transaction, pour ne pas compromettre le droit qu’il prétendait avoir de ne pas contribuer aux charges de l’état. Supprimée intempestivement le 1er avril 1698, la capitation fut rétablie en 1701, au commencement d’une nouvelle guerre qui devait épuiser la France d’hommes et d’argent. Plus tard, quand la paix d’Utrecht eut enfin été signée à des conditions inespérées, grâce à la bataille mémorable où le maréchal de Villars épargna à la France les horreurs d’un démembrement, les ressources des temps de guerre furent reconnues indispensables pour acquitter les charges d’une dette constituée qui, depuis Colbert, qui l’avait laissée à 8 millions, s’était grossie en un quart de siècle au point de représenter un capital de plus de 2 milliards du temps. La capitation fut donc maintenue, et elle figurait en 1789 pour 24 millions parmi les revenus de l’état.

Notons pourtant, d’après un observateur aussi éclairé qu’impartial, que « la capitation de la noblesse et des privilégiés formait dans les provinces, en 1769, l’objet le moins considérable, la portion la plus forte étant celle qui étoit répartie, au marc la livre de la taille, entre les taillables et les non privilégiés[1]. » C’est ainsi que le privilège et la faveur avaient fini par dénaturer un impôt établi précisément dans la pensée de les soumettre au droit commun, tant les abus, même les plus crians, étaient difficiles à déraciner !

On a prêté à Pontchartrain un mot qui passa pour très spirituel, et qui, s’il était vrai, donnerait la mesure d’une incroyable légèreté. « Sire, aurait-il dit à Louis XIV, qui s’étonnait sans doute de

  1. Mémoires concernant les impositions et droits, par Moreau de Beaumont, conseiller d’état. Paris, Imprimerie royale, 1769 ; t. II, p. 421.