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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/946

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plus de dignité avec plus de politesse, de cette politesse avisée qui sait distinguer et mesurer, en mettant d’ailleurs tout le monde à l’aise, en même temps d’une charité inépuisable sans que personne s’en doutât, surtout dans les jours de détresse et de disette où elle faisait distribuer du pain et de la viande à des milliers de personnes pendant des mois entiers. Par malheur, la chancelière était de robe, c’est-à-dire fille d’un président des enquêtes, et le duc de Saint-Simon, bien qu’il vécût, dit-il, dans l’intimité du chancelier, ajoute arrogamment : « Avec tout cela, elle avoit trop longtemps trempé dans la bourgeoisie pour qu’il ne lui en restât pas quelque petite odeur. » Pénétré de douleur quand il la perdit, le chancelier Pontchartrain s’était retiré quelques jours au couvent de l’Oratoire. Son projet de quitter les sceaux et de mettre, comme on disait alors, un intervalle entre la vie et la mort, c’est-à-dire entre les agitations de la cour et les inquiétudes de la dernière heure, datait de loin, mais sa femme l’avait toujours combattu. Il y revint, et, malgré les affectueuses instances de Louis XIV, finit par le réaliser.

Il avait alors soixante et onze ans, et, dit Saint-Simon, la tête comme à quarante, sans la plus légère infirmité. Comblé d’honneurs, de marques d’estime, de faveurs de toute sorte, il allait souvent, pour se soustraire aux importunités du monde, s’enfermer à l’Oratoire. Louis XIV fut l’y voir un jour, et ce témoignage d’affection ne fut pas le moindre de tous ceux que Pontchartrain en avait reçus. Je sais le cas qu’il faut faire des libelles contemporains et le mépris qui est dû aux plus violens; on ne sera pas fâché néanmoins de voir comment Pontchartrain fut apprécié par un pamphlétaire de son temps. « Il a, dit-il, volé de charge en charge, ce qui)e rend incapable d’en exercer parfaitement aucune; tourné tout entier vers son maître et vers soi-même, sans jamais donner un regard au public... La tête toute pleine de maltôtes dont il doit l’invention à des gens inconnus, il a renchéri sur tous ses prédécesseurs pour mériter la haine publique[1]. »

Or parmi ces prédécesseurs figurait Colbert, dont la populace de Paris avait, à sa honte, troublé les funérailles. Sans être aussi injuste, la postérité a vu dans le comte de Pontchartrain le contrôleur-général plutôt que le chancelier. Peut-être même ne lui a-t-elle pas tenu assez compte des circonstances fâcheuses pendant lesquelles il avait administré les finances. A l’occasion de quelque mauvaise épigramme du temps, le comte de Maurepas, son petit-fils, a prétendu que le public, suivant sa coutume, imputait à Pontchartrain des embarras dont il n’était pas responsable. « Le prince

  1. Caractère de la famille royale de France, des ministres d’état, etc., Villefranche (Londres), 1703.