Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/964

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’appliquer à mettre sa législation au niveau des besoins généraux[1].

Cet exemple, pris dans le champ ouvert à l’action publique, montre assez clairement quel est le caractère de la mission qui appartient aux gouvernemens en face de ce réseau ferré dont ils ont eux-mêmes, à si bon droit, provoqué, encouragé, autorisé la construction. Le but demeure ici du reste indépendant du système adopté pour l’exploitation. C’est néanmoins l’un des avantages de l’exploitation par les compagnies que de permettre de délimiter plus nettement la tâche respective de l’action publique et de l’action privée. Les gouvernemens se trouvent ainsi mieux placés pour résoudre des questions délicates, souvent scabreuses, et parfois mêlées à des préjugés nationaux. Ils restent sur le terrain de l’intérêt général, et ils n’ont pas l’air de débattre les conditions d’un marché dont ils doivent directement recueillir le bénéfice.

Le partage des attributions n’empêche pas que l’action publique et l’action privée ne se côtoient sans cesse, et qu’elles ne puissent agir l’une sur l’autre, ou, comme nous le disions plus haut, se combiner dans un sens favorable à la simplification des services. Tant s’en faut. Chaque jour amène quelque témoignage d’une action simultanée. L’alliance effective des deux forces n’a-t-elle pas été une condition essentielle pour l’établissement de l’immense majorité des chemins de fer européens, et notamment de tous les derniers prolongemens qui, en Russie, en Espagne, en Italie, étendent le réseau des lignes internationales? A l’heure qu’il est, quand il s’agit de quelques rameaux supplémentaires destinés à raccourcir les distances entre deux points de différens états, comme le tronçon de Lille à Tournai qu’exécute en ce moment la compagnie du Nord, la concession ne suppose-t-elle pas des deux parts le désir de donner satisfaction à un même besoin? Ce n’est pas tout : rien n’est plus favorable à la grande circulation que la substitution de groupes étendus à de petites lignes éparpillées dans des mains différentes. Si à l’origine le défaut d’expérience a occasionné un fractionnement excessif, les fusions deviennent une nécessité. Eh bien! les conditions qu’elles entraînent toujours, les modifications qu’elles nécessitent souvent dans les tracés ou dans les cahiers des charges, impliquent de même la commune action de l’état et des compagnies[2].

  1. C’est parce que nous y voyons une première satisfaction donnée à ces besoins que nous applaudissons volontiers aux changemens qui viennent de s’accomplir concernant le gage, les sociétés et les concessionnaires, quelque partiels qu’ils soient.
  2. Le mouvement en fait de fusion ne se ralentit pas. La récente cession de la ligne de Suse au Tessin, faite au gouvernement italien par la compagnie du Victor-Emmanuel, n’est au fond qu’une fusion de cette ligne dans le groupe des chemins du nord appartenant à l’état. Dans une autre région de la péninsule, la fusion des chemins romains, toscans, etc., était naguère vivement poursuivie. En Espagne, en Suisse, on a signalé quelques manifestations analogues qu’il serait très désirable de voir aboutir à un résultat dans l’intérêt de l’uniformité. En France même, il reste encore place à des réunions de ce genre, ne fût-ce que pour ce débris des anciennes concessions du Victor-Emmanuel qui va du Rhône au Mont-Cenis, et qui parait là désormais comme perdu à une des extrémités du territoire, sur le revers septentrional des Alpes.