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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/972

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tourné la meule; les tamisiers, qui nettoyaient le grain écrasé; les fourniers, qui cuisaient à façon. Le pain était encore un luxe, et quand les empereurs offraient au peuple romain panem et circences, ils le traitaient en seigneur. L’approvisionnement et les distributions de pain étant une des clauses principales du contrat politique, les empereurs apportèrent la plus grande vigilance à l’organisation de ce service. A leurs yeux, les spéculateurs ou gens de métier qui concouraient à la production du pain étaient des espèces de fonctionnaires publics qu’il fallait enrichir, mais surveiller très étroitement. Quand les corporations industrielles (collegia) furent instituées vers le IIIe siècle, la boulangerie obtint le premier rang : on en fit une servitude honorable et lucrative. A la longue, honneurs et profits s’évanouirent, et il ne resta plus que les entraves. Dans une société délabrée, où la boulangerie, exercée, sinon par l’état, au moins sous sa responsabilité, tenait une si grande place, il surgissait souvent des difficultés qu’il fallait écarter par des expédiens administratifs. De là une multitude de règlemens qui ont passé dans les autres pays avec les lois et les habitudes romaines. C’est ainsi que la réglementation me ramène à Paris.

En héritant des pouvoirs impériaux, les rois barbares s’adjugèrent le patronage ou, pour mieux dire, l’exploitation des collèges d’artisans. L’institution tomba bientôt dans un tel avilissement qu’on ne sait pas bien comment elle a disparu. Il serait difficile de dire aussi comment la population parisienne se procurait son pain sous les deux premières dynasties. Vint le morcellement féodal. On ne comprendrait pas grand’chose à ce régime, si l’on ne se représentait chaque fief comme un petit état où une hiérarchie accomplit les fonctions essentielles, et prétend se réserver, pour sa rémunération, toutes les ressources locales. Le propre de ce système était l’isolement et la défiance. Le commerce qui aurait fait passer les produits nourriciers d’un centre dans l’autre était suspect; le patriotisme local exigeait qu’on y mît des entraves. Chaque ville n’avait donc qu’un rayon d’approvisionnement très restreint, et il n’était pas rare qu’une province souffrît de la disette, tandis qu’une abondance inutile affligeait des pays voisins. Paris jouissait d’une sorte d’exception, grâce à cette puissante compagnie des marchandai de l’eau, dont on peut apprécier l’importance par ce fait, que son blason parlant, le vaisseau, sert encore d’armoiries à la grande cité. Les marchands de l’eau, assez forts pour se faire respecter, entreprenaient des navigations jugées alors lointaines et périlleuses, et ils pouvaient au besoin ramasser des blés sur tout le cours de la Seine. Il est à croire qu’ils mettaient un bon prix à leurs services en raison du monopole dont ils étaient investis. Les rives de notre