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nous n’avons ajouté que les faisceaux. » Ainsi, avant de blâmer les complaisances de Cicéron ou d’accuser sa faiblesse, il fallait songer aux difficultés de sa position. Il essayait de rétablir la république avec le secours de gens qui l’avaient combattue et qui ne l’aimaient pas. Quel fonds pouvait-il faire sur un Hirtius, auteur d’une loi sévère contre les pompéiens, sur un Plancus et un Pollion, anciens lieutenans de César, sur un Lépide et un Octave, qui voulaient le remplacer? Et pourtant il n’avait pas d’autre appui qu’eux. À ce grand ambitieux qui, le lendemain même des ides de mars, s’était voulu faire le maître, il ne pouvait opposer qu’une coalition d’ambitieux secondaires ou plus dissimulés. Au milieu de toutes ces convoitises ouvertes ou cachées, rien n’était plus difficile que de se diriger. Il fallait les brider les unes par les autres, les flatter pour les conduire, et les contenter à demi pour les contenir. De là ces honneurs prodigués ou promis, ce luxe d’éloges et de titres décernés, ces exagérations de reconnaissance officielle. C’était une nécessité, imposée par les circonstances; au lieu de faire un crime à Cicéron de l’avoir subie, il fallait en conclure qu’essayer une dernière lutte légale, revenir à Rome pour y réveiller l’ardeur populaire, se fier encore sur la force des souvenirs et la puissance souveraine de la parole, c’était s’exposer à des dangers inutiles et à des mécomptes certains. Cicéron le savait bien. Il a pu quelquefois sans doute, au milieu de l’ardeur du combat, se laisser enivrer par les triomphes de son éloquence, comme ce jour où il écrivait naïvement à Cassius : « Si l’on pouvait parler plus souvent, il ne serait pas trop difficile de rétablir la république et la liberté. » Toutefois cette illusion ne durait guère. L’ivresse dissipée, il ne tardait pas à reconnaître l’impuissance de la parole, et disait le premier qu’il ne fallait mettre son espérance que dans l’armée républicaine. Il n’a jamais varié dans cette opinion. «Vous me dites, écrivait-il à Atticus, que j’ai tort de croire que la république dépende entièrement de Brutus; il n’est rien de plus vrai, Si elle peut être sauvée, elle ne le sera que par lui et les siens. » C’est sans illusion, sans espérance que Cicéron avait tenté cette dernière entreprise, et uniquement pour obéir aux désirs de Brutus, toujours obstiné dans son amour des résistances légales et des luttes pacifiques. Il appartenait donc à Brutus moins qu’à personne de lui reprocher d’y avoir succombé. Cicéron avait raison de rappeler souvent cette entrevue de Vélie où son ami le décida malgré ses répugnances à retourner à Rome. Ce souvenir était sa défense; il devait interdire à Brutus toute parole amère contre celui qu’il avait lui-même jeté dans une aventure sans issue.

Cicéron dut ressentir profondément ces reproches. Pourtant son