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s’en aperçut et lui donna Pankasté. Était-ce affection? Était-ce désir d’étonner le monde? Du moins c’était grandeur d’âme.

Lorsque le Macédonien fut parti avec une poignée d’hommes pour conquérir la Perse, Apelle redevint libre. Il retourna à Éphèse, sa patrie peut-être, la ville du moins où s’était écoulée sa première jeunesse. Il ne paraît pas douteux que le choix de ce séjour eût été concerté avec Alexandre, qui prévoyait son triomphe, et qui, maître de l’Asie pacifiée, avait ainsi sous la main son peintre et son ami; mais la vie du héros fut aussi courte que sa grandeur fut rapide. Bientôt Apelle ne dépendit plus que de lui-même, et, s’il avait été mandé à Persépolis ou à Ecbatane, après la mort du roi il regagna Éphèse. Il y peignit plusieurs tableaux que l’on conservait dans le fameux temple de Diane; il y fit le portrait du grand-prêtre Mégabyse, ou plutôt il représenta la procession solennelle que conduisait le grand-prêtre.

Comme la vie d’Apelle n’est écrite nulle part, et comme il faut la déduire d’anecdotes éparses dans les auteurs, il est impossible d’en établir l’enchaînement rigoureux. Nous voyons seulement qu’après la mort d’Alexandre il usa de sa liberté pour parcourir la Grèce, qu’il dut se fixer dans différentes villes, afin d’y exécuter les œuvres qu’on lui commandait. Ces voyages, dont Polygnote, Zeuxis et bien d’autres artistes avaient donné l’exemple, étaient de véritables ovations. Les grands peintres, toujours plus populaires que les grands sculpteurs, étaient accueillis comme des demi-dieux. Apelle retourna donc à Sicyone pour revoir ses amis et ses rivaux; ce sera là, si l’on veut, qu’eut lieu ce concours célèbre dont le sujet était un cheval. Apelle, qui avait accepté le défi, s’aperçut que les arbitres étaient circonvenus par ses adversaires. Il demanda qu’on prît pour juges les animaux eux-mêmes. Des chevaux furent amenés devant l’œuvre de chaque concurrent : tous hennirent devant le tableau d’Apelle et restèrent silencieux devant les autres tableaux. Élien dénature ce récit, qui, j’en conviens, ressemble à une fable. Il prétend qu’Alexandre critiquait un jour le cheval sur lequel Apelle l’avait représenté. Le peintre fit amener un cheval vivant qui se mit à hennir en apercevant son image. « Tu le vois, dit Apelle à Alexandre, cet animal se connaît en peinture mieux que toi. » C’est mettre un propos grossier à la place d’une fiction spirituelle.

Sicyone n’est séparée de Corinthe que par quelques heures de marche. Apelle visita Corinthe. Il y rencontra près de la source Pirène et emmena chez lui la courtisane Laïs, deuxième du nom, qui avait pris des années sans vieillir, car elle était toujours belle, et sa maturité était radieuse comme les moissons dorées par le soleil. On devine qu’Apelle voulut aussi voir Athènes, qui déjà, hélas! n’était