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l’imitation ne tourne aussi bien qu’à ceux qui sont de force à être originaux.

Aussi se peut-il que ceux des Allemands qui sont restés plus étroitement fidèles à l’art national, que Schaffner, Feselen, Behm, Lucas Kranagh, Burgkmayr, se fassent regarder avec plus d’intérêt dans les galeries de Munich que Pencz, Dauffet, Loth, qui nous conduisent insensiblement à la peinture agréable et banale de Raphaël Mengs et d’Angelica Kauffmann. On préférera à cet art raisonnable, qui suppose du goût, des connaissances et un certain acquis, l’étrangeté naïve de ces peintres qui semblaient n’avoir que des yeux et des mains, et qui, copiant exclusivement leur temps et leur pays, traitaient l’histoire à la manière du genre, et dénaturaient leurs sujets par des anachronismes et même des contre-sens, mais ne cessaient pas un moment de répandre dans leurs compositions le mouvement et la vie. Aujourd’hui surtout, on aime à noter les traits de mœurs, les variations du goût, les signes des temps. On n’exigera point avec pédanterie l’exactitude du costume, pas même la fidélité à la vraisemblance, à la vérité morale; on ne cherchera dans tous les systèmes que le talent de peindre, et on l’admirera toutes les fois qu’il aura rendu ce qu’il voulait rendre; mais en s’arrêtant avec complaisance devant les œuvres, bien que bizarres, de l’école strictement germanique, qu’on m’accorde que ces très habiles gens ne se formaient pas une idée fort élevée de la beauté ni de la vérité; leur idéal était prosaïque. La Vénus de Lucas Kranagh à Nuremberg, même la Baigneuse de Zeitblom à Stuttgart, sont modelées dans le clair avec une adresse infinie. Ces figures grêles et pincées étonnent lorsqu’on songe que le peintre s’est interdit toutes les ressources du clair-obscur; mais le souvenir de la moindre statue antique remet ces jolies bourgeoises à leur place. La fraîche et piquante grisette que ce même Lucas Kranagh nous donne pour la femme adultère suffit pour le convaincre de n’avoir pas senti en artiste la gravité, la majesté des scènes de l’Évangile, et lorsque Michel Cocxie revêt saint Jean-Baptiste d’un riche et fastueux habit, comment pourrait-il avoir compris l’individualité et la grandeur de l’inculte précurseur du sauveur des hommes? Qu’on est loin de celui qui a posé sur un rocher ce jeune homme nu, la main levée, la bouche ouverte, seul, criant dans le désert !

Ce que j’admire dans Albert Dürer, c’est d’avoir ennobli son style sans en effacer le caractère. Le même mérite me frappe dans un autre artiste moins célèbre et aussi Allemand que lui : c’est son compatriote Pierre Vischer. Dans l’église de Saint-Sebald, on vous fait remarquer avant toutes choses la châsse du saint qui lui donne son nom. C’est un petit monument en bronze, ayant la forme d’une