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Staël, et il souffrait de ses déchiremens comme d’un malheur domestique. Le fait a prononcé à la fois pour et contre ces inquiétudes. La révolution prévue est arrivée en Suisse, mais sans entraîner tout à fait les conséquences qu’on redoutait. Quant au danger que présentait pour le reste de l’Europe l’agitation commencée, les événemens de 1848 ont pris soin de le démontrer. Le discours que M. le duc de Broglie prononça sur la question suisse à la chambre des pairs devait être le dernier, puisqu’il a précédé à peine d’un mois la chute de la monarchie.

Après la révolution de février, il ne désespéra pas. N’ayant que le titre d’ambassadeur, il ne fut pas compris dans la proscription qui frappa les ministres. Il resta donc en France, et, les premiers momens passés, le suffrage universel vint le chercher dans sa retraite. Il ne fit point partie de l’assemblée qui donna une constitution à la république ; mais en 1849 le département de l’Eure le choisit pour un de ses représentans à l’assemblée législative. Il accepta ce nouveau mandat et l’exécuta tristement, mais fidèlement. Quels que fussent ses regrets, ses tourmens de cœur et d’esprit, il les comprima pour faire encore une fois son devoir. Il s’associa de sa personne et de son vote à toutes les mesures qui rétablirent l’ordre ébranlé. Son énergique simplicité, son désintéressement absolu, son libéralisme sincère, eurent bientôt commandé tous les respects; on vit les plus ardens républicains s’incliner devant ce grand exemple de vertu civique. Il n’avait jamais eu plus d’ascendant personnel, et s’il n’a pas réussi à préserver la France de nouvelles secousses, c’est que le succès était impossible.

Le vice capital de la constitution de 1848 apparaissait peu à peu à tous les yeux. L’existence simultanée d’un président et d’une assemblée issus l’un et l’autre du suffrage universel ne pouvait manquer d’aboutir à un conflit. M. le duc de Broglie comprit parfaitement que le prince-président, déclaré non rééligible par la constitution, ne se soumettrait point à cette condition, et que, pour se maintenir au pouvoir, il trouverait un puissant appui, soit dans l’armée, soit dans les classes populaires qui l’avaient élu. On ne pouvait trouver d’autre issue légale que dans la révision de la constitution par une nouvelle assemblée constituante. Une proposition dans ce sens fut faite à l’assemblée, qui en renvoya l’examen à une commission. M. le duc de Broglie, nommé président, s’y déclara sans hésiter pour la révision immédiate. Les séances des commissions n’étant pas publiques, on n’a pu retrouver le texte même des considérations qu’il présenta à l’appui de son opinion; mais les journaux du temps en donnèrent la substance, et en les collationnant avec ses notes, on a pu rétablir assez exactement ses paroles. Ce document devient aujourd’hui historique.