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d’œuvre n’y abondent pas, je ne sais même si le mot de chef-d’œuvre y peut être prononcé; cependant Francia, le Pérugin, Luini, fra Bartolomeo, Andréa del Sarto, Titien, y font leurs preuves, et l’on pourrait s’y former une suffisante idée du caractère de leur talent. Il n’est pas jusqu’au Baroccio qui n’ait là deux toiles fort séduisantes où l’on voit quelle coquetterie il portait dans les grands sujets. Enfin le catalogue attribue dix ouvrages à Raphaël. C’est beaucoup; mais sur ce point, comme sur l’appréciation particulière des tableaux italiens, j’aime à renvoyer à M. Viardot, qui, précisément parce qu’il s’y connaît mieux que moi, admire davantage[1]. Une étude de la figure entière de la sainte Cécile du tableau de Bologne, une étude de la tête du saint Michel du tableau du Louvre, deux portraits de Raphaël donnés comme de lui, quoiqu’un seul paraisse son ouvrage et que ni l’un ni l’autre ne soit de lui peut-être[2], enfin trois vierges authentiques ou tenues pour telles, voilà ce qui prêterait à bien des réflexions, car Raphaël est inépuisable; c’est l’infini que la perfection. La Madone dite de la casa Tempi est conçue, ce me semble, dans le même esprit que la Belle Jardinière. La Vierge au Rideau ressemble à la Vierge à la Cliaise mise de profil, et ce changement d’attitude lui fait perdre beaucoup pour la grâce et le sentiment. La Sainte Famille dite de Canigiani est une composition dont l’ordonnance est nouvelle, un peu symétrique, et dont les beautés n’arrivent pas à la perfection; mais c’est toujours Raphaël, et qui saurait parler aurait beaucoup à dire. Une seule réflexion nous frappe : c’est que la peinture italienne, et celle de Raphaël avant toute autre, si libre dans ses conceptions, si parfaitement affranchie du double joug des formes hiératiques et d’une imitation servile et minutieuse de la réalité, n’a usé de sa liberté que pour ajouter au fond des sujets qu’elle traite des accessoires ou des conventions d’un genre sérieux et digne qui en augmentent l’impression ou pour l’esprit ou pour les sens. De ces additions à l’idée pure, la plus hasardée est la magnificence des Vénitiens, et l’invraisemblance en est bien compensée par l’effet pittoresque. Dans les sujets bibliques, où elle est le plus déplacée, rien ne cesse d’appartenir à la grande peinture, et c’est là la convenance suprême. Sur le reste, une grande tolérance doit être accordée. Toujours, du moins par le caractère de noblesse que la peinture italienne a conservé même aux parties de l’art qui peuvent dépendre de la fantaisie, elle a fait régner dans toute son œuvre

  1. Les Musées d’Allemagne, 1860.
  2. L’un serait tout au plus une caricature du portrait de Florence, L’autre est un bel ouvrage représentant un jouvenceau frais et blond. Une phrase équivoque de Vasari en fait l’image de Sanzio suivant Rumour, et de Bindo Altoviti selon Passavant.