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— Alors vous excusez et pardonnez tout, même ce qu’il nous a appris des choses qui se sont passées ici, aux Charmettes ?

— Je vous demanderai d’abord si les Confessions, qui n’ont été publiées qu’après la mort de Rousseau, et qui par conséquent ne sont pas la cause du scandale provoqué autour de lui de son vivant, comme vous le disiez tout à l’heure, étaient un livre terminé, entièrement revu et corrigé, enfin prêt à paraître tel qu’il a paru. Vous dites oui ? Moi je crois que, si Rousseau eût vécu quelques jours de plus et qu’une éclaircie de soleil se fût faite dans son âme irritée, il eût sans doute retranché de ses mémoires des détails inutiles, des plaintes injustes, des reproches exagérés ; mais admettons que je me trompe, et qu’il ait cru à l’utilité de cette publication sans retouche, montrez-moi dans la bibliothèque de l’esprit humain une œuvre de quelque importance qui ne révèle pas les infirmités, les déviations, les entraînemens, les erreurs de bonne ou de mauvaise foi des plus beaux génies. Si, comme je le crois, vous êtes un catholique réellement orthodoxe, vous en trouveriez à chaque pas dans les pères de l’église. Et ne discutez-vous pas encore l’orthodoxie de plusieurs d’entre eux ? Dans les textes les plus sacrés, n’êtes-vous pas forcé d’interpréter pour admettre ? Vos plus grands saints n’ont-ils pas été les plus grands pécheurs avant d’être touchés par la grâce ? Et croyez-vous les insulter quand vous proclamez les vices et les crimes dont leur conversion les a rachetés à vos yeux ? Permettez-nous donc d’avoir aussi nos saints, nos martyrs, hommes et pécheurs comme les vôtres, et, comme les vôtres, rachetés par la grâce divine, qui agit en eux de concert avec leur propre virtualité pour les éclairer, les purifier par conséquent. La lumière purifie. Que m’importe que Rousseau se soit trompé en plaçant son idéal dans la vie érémitique ? Vos pères du désert ne traitaient pas mieux la vie sociale. Vous lui reprochez d’avoir raconté certains faits avec cynisme ? Vous dites que son imagination dépravée s’est complu à ces tableaux révoltans ? Je vous dis et je vous jure que non, moi, et l’horrible scène de l’hospice de Turin, où les prêtres lui surent si mauvais gré de son indignation, est une sanglante révélation de faits immondes dont il a eu le devoir de retracer la laideur, parce que ces prêtres les excusaient et les toléraient en souriant.

— Je vous accorde que les plus grands pécheurs peuvent devenir les plus grands saints ; mais les fautes des mauvais chrétiens ne rachètent point celles des mauvais philosophes, et ceux-ci peuvent être de grands pécheurs sans devenir saints, à quelque degré que ce soit.

— Les fautes des mauvais chrétiens, c’est-à-dire les vices de l’hypocrisie, sont sans excuse, et vous ne pouvez pas les faire marcher