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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/375

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de son petit salon d’été, occupée à quelques travaux de femme sans importance, entourée de sa fille, de ses nièces et de quelques amis qu’elle égayait par des propos aimables et inoffensifs, on aurait dit une enfant de bonne humeur cherchant à dépenser la gaîté sereine dont son cœur était rempli ; mais en sondant plus profondément ce caractère vraiment original, on y trouvait une sensibilité d’autant plus grande qu’elle se manifestait rarement : c’était comme une source vierge longtemps comprimée dans les replis d’un être qui n’avait pas eu, qu’on nous permette cette expression familière, son « contentement » de vie morale.

La maison de Mme de Narbal était fréquentée par les personnes les plus distinguées de la petite ville de Schwetzingen, dont la population s’élevait alors à près de deux mille âmes. Indépendamment des maîtres qui venaient chaque jour donner des leçons aux trois jeunes filles dont Mme de Narbal dirigeait l’éducation, elle recevait aussi quelques professeurs distingués de l’université de Heidelberg. Les dimanches étaient les jours consacrés à des réceptions modestes, fort recherchées des femmes de Schwetzingen, qui ne réussissaient pas toujours à s’y faire inviter. Avec un tact parfait, Mme de Narbal était parvenue à écarter de sa maison somptueuse et hospitalière cette cohue d’ennuyés et d’ennuyeux qui constituent ce qu’on appelle la société dans une petite ville de province, cerveaux creux, âmes froides et dédaigneuses, plus dignes de pitié que de haine, qui dépensent les heures qui leur sont accordées par la bonté de Dieu à médire de tout ce qui s’élève au-dessus de leur médiocrité. Mme de Narbal avait en horreur ces infiniment petits esprits qui bourdonnent à la surface des petites villes de province, mélange de hobereaux avariés, de caillettes et de procureurs affamés du bien d’autrui qui s’imposent à vous et viennent dévorer votre temps. Elle s’en était garée, comme on se gare de la fièvre jaune, par un cordon sanitaire formé par ses domestiques, qui avaient ordre de repousser impitoyablement tout ce qui n’appartenait pas au petit nombre des élus. Aussi Mme de Narbal n’était-elle pas aimée de l’aristocratie de Schwetzingen et de Manheim, qui se composait en partie d’anciennes familles ayant appartenu à la cour de Charles-Théodore. On blâmait le choix de ses relations, son goût pour les choses élevées et les nobles distractions de l’esprit. On ne pardonnait pas à la petite-fille d’un ancien ministre, d’un comte du saint-empire, de s’être laissée contaminer par les idées du temps où nous, vivons, d’avoir mis son cœur et sa raison en harmonie avec les vues de la Providence et les aspirations de la société moderne.

Mme de Narbal s’inquiétait fort peu de ces murmures de la vanité blessée. Sûre de sa conscience, de sa vie pure consacrée aux bonnes