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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/399

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dont le succès fut très grand dans les réunions intimes qui avaient lieu le soir chez Mme de Narbal. Ces petits concerts sans prétention, qui faisaient le bonheur de la comtesse, disposaient aussi ces trois délicieuses créatures à mieux connaître l’homme distingué qui leur entr’ouvrait le monde de l’idéal. Quant au chevalier, sans se prendre d’un goût bien vif pour aucune des trois, il les jugeait et appréciait leurs qualités charmantes avec l’impartialité d’un indifférent. Il aimait cependant à causer avec Fanny, dont l’esprit était plus mûr et le cœur déjà ému par des aspirations qui ne demandaient qu’à se fixer sur un objet qui en parût digne. Elle lui témoignait au moins de la déférence en l’écoutant avec recueillement quand il parlait et en lui adressant des questions bienveillantes sur les pays qu’il avait visités. Il s’amusait de la gaîté expansive et de la grâce naturelle d’Aglaé, qui lui montrait de la reconnaissance pour les petits succès qu’elle obtenait dans les réunions du soir. Elle s’était même élevée à un degré d’émotion dont on ne l’aurait pas crue capable dans le duo du Matrimonio segreto de Cimarosa, qu’elle avait chanté avec le chevalier, et il lui était resté depuis quelque chose de plus sérieux dans le regard et dans le maintien. Quant à Mlle Frédérique, elle continuait à être taciturne et réservée vis-à-vis du chevalier, qui n’avait pas encore bien saisi ce caractère de jeune fille. Tantôt elle paraissait écouter avec intérêt les explications que donnait le chevalier sur le style d’un morceau ou d’un compositeur, tantôt elle montrait des dispositions contraires et presque de l’aversion pour cet étranger que ses cousines, sa tante et Mme Du Hautchet louaient à l’envi. Le chevalier se jouait assez agréablement au milieu de ces trois jeunes filles qui l’intéressaient sans l’émouvoir, qu’il jugeait du haut d’un souvenir ineffaçable et sacré ; c’étaient pour lui trois notes d’un accord délicieux qui le charmait sans le troubler.

Un jour que le chevalier avait été rendre visite au docteur Thibaut à Heidelberg, il trouva dans la bibliothèque musicale du savant jurisconsulte une vieille partition de Haendel qu’il feuilleta avec curiosité. C’était l’opéra de Rinaldo que le grand musicien avait composé à Londres en 1711 et qui renferme l’air si connu depuis quelques années : Lascia ch’ io pianga. Jugeant que ce beau morceau pouvait convenir à la voix de Mlle Frédérique, le chevalier emporta la partition à Schwetzingen.

— J’ai découvert un trésor, dit-il à Mme de Narbal, c’est la partition du premier opéra italien que Haendel a composé en Angleterre sur un sujet qui ressemble à celui de l’Armide de Gluck. J’ai surtout remarqué un air du plus beau caractère qui se rapproche plutôt du récitatif déclamé des premiers maîtres de l’école italienne que