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monde est debout. On se réunit dans la salle du déjeuner, où les filles de la maison donnent au père et à la mère le baiser du matin, — baiser à l’anglaise, sur une seule joue, — et où l’étranger reçoit les salutations graves et affectueuses de la famille. Cependant une porte s’ouvre, et toutes les servantes de la maison, quelquefois au nombre de sept ou huit, entrent l’une après l’autre et en silence. Quand tout le monde est rassemblé, on récite la prière, ou bien, selon le rite particulier à d’autres sectes, on lit assis un chapitre de la Bible. Ces pratiques religieuses peuvent étonner un étranger ; mais en Angleterre, où la différence des rangs est si marquée, n’y a-t-il point quelque chose de touchant dans cette admission des domestiques au sein de la famille, pour remplir en commun ce qu’on regarde comme un devoir envers la Divinité ? Cette lecture terminée, on se met à table, et l’on prend du thé ou du café. Après le déjeuner, pendant que le maître de la maison se livre généralement à ses études et à ses affaires, l’étranger a d’ordinaire, pour occuper agréablement ses heures, une vaste bibliothèque, des collections scientifiques, des serres embellies de plantes rares et les jardins qui entourent la maison. Vers une heure, on prend le lunch, ce que nous appelons en France le second déjeuner. Dans l’après-midi, la famille sort en voiture pour rendre des visites, pour explorer les environs, ou pour entretenir avec les fermes et les chaumières ces relations de bienveillance qui comblent jusqu’à un certain point, dans la société anglaise, la distance des conditions et des personnes. À six heures, on dîne ; les femmes ont changé de toilette, et les hommes sont en habit noir. La conversation, moins animée, moins pétillante qu’en France, roule habituellement sur des sujets plus sérieux. Une des particularités d’un dîner anglais est qu’après le dessert les femmes se lèvent et quittent la salle à manger, tandis que les hommes se rassoient et continuent à boire quelques verres de vin de Xérès et de Porto. On ne trinque jamais ; mais le maître de la maison qui veut faire honneur à son hôte l’invite à remplir son verre : il en fait autant de son côté, et tous les deux échangent une inclination de tête avant de tremper leurs lèvres. Environ une demi-heure après, toute la société se trouve réunie dans le salon, où vers onze heures les servantes entrent processionnellement : on fait alors la prière ou la lecture du soir, puis chacun se retire dans sa chambre après avoir reçu un serrement de main amical de la part de tous les membres de la maison. Je crains fort que ce genre de vie ne paraisse bien solennel et bien réglé, si on le juge au point de vue de nos mœurs françaises, et pourtant on respire dans ces intérieurs si dignes comme un parfum de famille et d’hospitalité. Il est peut-être curieux d’opposer à de telles maisons bourgeoises,