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à réparer les vaisseaux, tandis que de vastes quais s’étendent sur un espace de six cent quarante pieds, et couvrent de leur armure de pierre des terrains récemment conquis sur la mer. Comment une population de cinq ou six mille habitans a-t-elle pu trouver les ressources nécessaires pour achever ces grands ouvrages, sans compter ceux qui sont maintenant en cours d’exécution ? C’est une énigme dont il faut demander l’explication à cet esprit de confiance en soi-même, fruit de la décentralisation et de la liberté, qui fait en Angleterre la force des provinces.

Au moment où j’arrivai à Falmouth, toute la population était à la veille d’une fête. Il s’agissait de célébrer l’ouverture du chemin de fer qui devait relier dans quelques jours cette ville à Truro et à la grande artère de la Cornouaille. La longue rue étroite qui traverse toute la ville en décrivant une courbe ondoyante, et dont les pâtés de maisons s’entr’ouvrent quelquefois sur la gauche pour découvrir le port, était déjà décorée de distance en distance par des arcs de feuillage. Des marins de toutes les nations et parlant toutes les langues, depuis le russe jusqu’au grec et à l’arménien, se promenaient par bandes au milieu de ces joyeux préparatifs. Le premier train qui atteignit le débarcadère de Falmouth fut salué par les énergiques hourras des matelots, des volontaires, des foresters, des good fellows (ordres maçonniques d’ouvriers) et de tous les bons citoyens de la ville. Un banquet, auquel j’eus l’honneur d’être invité, avait réuni les principaux habitans de Falmouth et plusieurs membres du parlement dans une grande maison en bois ornée de guirlandes. Les toasts, qui furent prononcés avec une chaleur tout anglaise, auraient un peu égayé, je le crains, la verve humoristique de l’auteur de Pickwick ; mais cette ambition des localités qui veulent tout faire par elles-mêmes et qui se promettent à leur manière l’empire du monde a quelque chose au fond de respectable. Le jour même de l’inauguration de la ligne, une baleine morte arriva dans le port, remorquée par des bateliers de Falmouth. Elle s’était prise elle-même entre les rochers de Cagewith (un petit village à quelques lieues de là sur le bord de la mer), où elle s’était sans doute donné la mort en se débattant. Cet événement fut interprété par plusieurs comme un présage des grandeurs futures de Falmouth et comme un hommage du monstre envers cette cité maritime : ipse capi voluit ! Il est certain du reste que la voie ferrée récemment ouverte fera de Falmouth une ville nouvelle ; il ne lui manque plus maintenant que de ressaisir le service des paquebots transatlantiques[1].

  1. Ses grands docks, son port admirable, sa situation avancée dans le détroit de la Manche, ont autorisé Falmouth à réclamer de nouveau ce privilège, qui lui a été enlevé il y a quelques années.