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pour ne pas vouloir la dépasser par ses témérités. Elle entra résolument dans la détestable politique qui consiste à élever devant soi des obstacles, afin de justifier la violence par le danger. La constituante avait préparé la guerre civile sans la vouloir : la législative suscita sciemment la guerre étrangère par des provocations froidement calculées qui rendaient la lutte inévitable, et la paix fut rayée, avec la liberté religieuse, du programme sorti naguère du cœur de la nation le jour pu il s’était ouvert à toutes les nobles espérances. Les artistes ambitieux qu’une loquacité brillante mit à la tête d’une assemblée dont les constituans avaient commis l’irréparable faute de s’interdire l’accès voulurent systématiquement la guerre; ils la préparèrent de sang-froid, parce qu’elle leur présentait la double chance de faire autrement que leurs prédécesseurs, ce qui les touchait beaucoup, et de s’imposer à Louis XVI, ce qui les préoccupait encore, davantage. Cet honnête calcul ne leur réussit qu’à moitié : aussi la Gironde prit-elle le parti de se faire républicaine sitôt que le malheureux roi eut refusé de se faire girondin. Ne pouvant servir le trône, il lui parut naturel de le renverser. Les girondins se crurent, des Machiavels lorsqu’au lendemain du 10 août Mme Roland se trouva reportée dans son boudoir si regretté du ministère de l’intérieur par le même coup de théâtre qui avait porté Canton au ministère de la justice; mais cordelière et jacobins entretenaient pour leurs alliés beaux esprits le dédain ordinaire des hommes d’action pour les hommes de parole, dédain qui fut bientôt justifié par la facilité que rencontrèrent les chefs de la multitude à triompher des chefs de la convention. A la guerre restreinte provoquée par les girondins contre les deux cabinets allemands profondément divisés, les jacobins travaillèrent à substituer la guerre générale, dans la pensée très arrêtée de placer la France entre sa perte inévitable et les fureurs de son désespoir. Le procès fait à Louis XVI leur parut un moyen sûr pour contraindre les cabinets demeurés spectateurs de la lutte à quitter la neutralité; ils le considérèrent surtout comme devant rendre impossible une paix secrètement souhaitée par la Prusse. comme par l’Autriche. Ils entamèrent donc cette œuvre d’iniquité; non pas pour défendre la révolution contre l’Europe, mais pour armer l’Europe contre la révolution ; ils la conduisirent jusqu’à son issue sanglante, afin de placer les girondins entre un grand crime et un grand péril, et de demeurer les seuls, chefs possibles d’un pouvoir dont l’horreur du monde leur assurait la possession.

Ainsi s’enchaînent les événemens qui conduisirent la nation à perdre sous la pression de la terreur toute volonté propre, pour ne pas dire toute conscience d’elle-même. Ces événemens sont-ils la conséquence d’une doctrine ou d’un intérêt? Ont-ils été inspirés par