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— Tu ne devrais pas, étranger, porter atteinte au repos de la tombe. Les vivans ne peuvent rien gagner à converser avec les morts...

Secrètement charmé que cette interpellation directe le dispensât d’expliquer un mouvement dont il avait honte, Edmond se hâta d’y répondre.

— Vous auriez peut-être raison, dit-il, si cette tombe gardait moins bien ses secrets, et encore ne lui réclamais-je pas ceux du monde où les morts habitent, je lui demandais simplement de rendre à notre existence terrestre ce qu’elle paraît lui avoir dérobé.

— Comment sais-tu, reprit l’Arabe, si la révélation des secrets confiés à la tombe peut en quoi que ce soit profiter aux vivans?... Aussi longtemps qu’une force est cachée, aussi longtemps qu’elle dort, comment te faire une idée de son action, bonne ou mauvaise?

— Après un sommeil si démesurément prolongé, murmura Edmond qui se parlait à lui-même, je ne connais pas de force dont l’action puisse subsister encore.

— Vraiment! reprit l’Arabe après un instant de silence. Que dis-tu donc d’un grain de blé ramassé aujourd’hui dans un de ces tombeaux que tu fouilles, semé demain dans quelque sillon, et qui n’en germera pas moins, contemporain des Pharaons, sur cette terre d’où le dernier d’entre eux a disparu depuis des milliers d’années? Comment supposes-tu que l’effort des siècles, impuissant à détruire les facultés fécondantes d’un grain de blé, puisse prévaloir contre l’invisible germe des passions humaines?

Edmond resta frappé d’une argumentation si subtile, appuyée sur un fait dont il avait par lui-même expérimenté l’exactitude. Son interlocuteur au surplus ne semblait pas attendre de lui une réponse catégorique; il s’était rapproché de la momie, qu’il examinait avec un regard scrutateur et passionné. Tout à coup, étendant son bras basané, il saisit la main du mort et retira l’anneau que le doigt desséché gardait encore, puis, fixant son œil brillant sur la pierre violette aux reflets lumineux et traduisant les caractères qui s’y trouvaient gravés : — Oui, murmura-t-il à part lui, dans une sorte de dialogue intérieur, voilà bien les paroles fatidiques de Seb-Chronos, celui qui détruit et qu’on ne détruit pas!... Le monde m’appartient, et vers moi convergent toutes choses. A moi seul je crée, à moi seul je détruis. Je veux ce que je veux. Je donne et enlève. Je distribue, je retire aux mortels leur félicité passagère. Sorti de la poussière terrestre, l’homme ne doit pas faire obstacle à la main du sort. Qu’il ne touche jamais de son doigt de fange à l’œuvre d’en haut!

— Est-ce donc là le sens exact de cette amulette? s’écria tout à coup le comte Edmond,