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que le résultat d’une cause mécanique, d’un mouvement de fluides, sans aucun sentiment, et par conséquent sans aucun effort, comment se trouve-t-il avoir une appropriation quelconque avec les besoins de l’animal ? Comment les fluides iront-ils précisément se porter vers le point où la production d’un organe serait nécessaire ? et comment produiraient-ils un organe approprié au milieu où l’animal vit ? Quant à dire qu’il est le produit de toute espèce d’organes, les uns utiles, les autres inutiles, les autres nuisibles, et que l’animal ne subsiste que lorsque le nombre des organes utiles vient à l’emporter, n’est-ce pas tout simplement revenir à l’hypothèse d’Épicure et attribuer tout au hasard, ce que l’on voulait éviter ? D’ailleurs les faits donnent-ils raison à cette hypothèse ? Si les combinaisons d’organes sont fortuites, le nombre des organes inutiles ou nuisibles devrait être infiniment plus grand qu’il ne l’est (en supposant même qu’il y en ait un seul de ce genre, ce qui n’est pas démontré), car ces deux conditions n’excluent pas absolument la vie. Et dire que cela a été autrefois ainsi, c’est se jeter dans l’inconnu, sans compter que les découvertes paléontologiques ne donnent pas à penser que les animaux fossiles aient été plus mal construits que ceux d’aujourd’hui.

Si au contraire c’est un besoin ressenti qui déterminerait lui-même la direction des fluides, comment les fluides se dirigeront-ils précisément là où le besoin existe, et produiront-ils précisément le genre d’organes qui est nécessaire à la satisfaction du besoin ? Un animal éprouve le besoin de voler pour échapper à des ennemis dangereux ; il fait effort pour mouvoir ses membres dans le sens où il doit le plus facilement se soustraire à leur poursuite. Comment cet effort et ce besoin combinés réussiront-ils à faire prendre aux membres antérieurs la forme de l’aile, cette machine si délicate et si savamment combinée que toute la mécanique la plus subtile de l’homme peut à peine soupçonner comment on pourra l’imiter ? Pour que le mouvement des fluides puisse amener des combinaisons aussi difficiles, il faut autre chose qu’un besoin vague et un effort incertain.

Lamarck reconnaît « qu’il est très difficile de prouver par l’observation » que le besoin produit l’organe ; mais il soutient que la vérité de cette première loi se déduit logiquement de la seconde loi, attestée par l’expérience, d’après laquelle l’organe se développe par l’expérience et par l’habitude. Ainsi, selon lui, de ce que l’habitude développe les organes, il s’ensuit que le besoin peut les créer. Qui ne voit l’abîme qu’il y a entre ces deux propositions ? Quoi ! parce qu’un organe étant donné croît ou se développe par l’exercice, on en conclura que le besoin peut produire un organe qui n’existe pas !