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l’une qu’il appelle méthodique, l’autre inconsciente. L’élection méthodique est celle de l’éleveur qui combine ses élémens, comme en mécanique on combine les rouages d’une machine. L’élection inconsciente est celle par laquelle on obtient l’amélioration ou la modification d’une espèce sans avoir précisément cherché ce résultat, comme celle d’un chasseur par exemple, qui n’a nulle prétention de perfectionner la race canine, mais qui, par goût, est amené à choisir les meilleurs chiens qu’il puisse se procurer, et obtient par la force des choses une accumulation de qualités dans cette race. C’est ainsi vraisemblablement que se sont formées les diverses variétés canines. Il n’y a pas là une méthode systématique, et cependant le résultat est le même, quoique plus lent. Il en est de même dans la nature, d’après M. Darwin. Elle pratique une élection inconsciente, et l’agent qui remplace ici le choix, c’est la concurrence vitale. Les mieux avantagés l’emportent nécessairement par le droit du plus fort, et la nature se trouve avoir ainsi choisi spontanément et sans le savoir les sujets les mieux doués pour résister aux atteintes du milieu, en un mot les mieux appropriés.

Nous voici au cœur du système. Pour le bien apprécier, distinguons deux cas différens : ou bien le milieu ambiant ne change pas, ou bien il change. Qu’arrivera-t-il dans ces deux hypothèses ? Il faut remarquer une grande différence entre la doctrine de Lamarck et celle de Darwin. Suivant le premier, tant que le milieu ne change pas, l’espèce doit rester immobile, une fois appropriée par l’habitude à ce milieu : ayant en effet ce qu’il lui faut pour vivre, on ne voit pas pourquoi elle ferait effort pour changer. Cependant si le changement a pour cause l’élection naturelle, il doit pouvoir se produire même dans un milieu immobile, car, si bien appropriée que soit une espèce, on conçoit toutefois qu’elle le soit davantage : il peut toujours se produire quelques accidens qui assureraient à certains individus un avantage sur d’autres, et leur ouvrirait en quelque sorte un débouché plus grand. Et ainsi on ne voit pas pourquoi dans cette hypothèse les espèces ne varieraient point sous nos yeux. Il ne faudrait même pas pour cela, à ce qu’il semble, des temps infinis, quand on songe avec quelle rapidité l’industrie humaine crée des variétés nouvelles.

Pourquoi donc ne voit-on pas de telles modifications se produire ? C’est que le principe de l’élection naturelle, même uni au principe de la concurrence vitale, ne peut pas, à ce qu’il semble, avoir la vertu que lui attribue M. Darwin. Supposons en effet que, dans les pays chauds, la couleur soit un avantage qui rende les habitans plus aptes à supporter l’ardeur du climat ; supposez que dans l’un de ces pays il n’y ait que des blancs, et qu’à un moment donné un