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dont tout le monde parlait. Voir une nombreuse réunion, entendre de la belle musique, paraître en public avec une toilette plus élégante que celle de tous les jours, ce sont de petits événemens dans l’existence monotone d’une jeune fille. Frédérique était ravissante ce jour-là. Elle avait une robe de mousseline blanche avec un spencer de velours noir, alors très à la mode en Allemagne, qui encadrait admirablement sa taille svelte et nerveuse. Sa belle chevelure blonde se déroulait en boucles soyeuses sur son cou de cygne, qui portait avec grâce une tête resplendissante de jeunesse et de distinction. Aimant passionnément les fleurs, Frédérique en mettait toujours sur son corsage, ce qui donnait à l’ensemble de sa personne je ne sais quel caractère de simplicité ornée qui attirait et charmait le regard.

Le chevalier ne tarda pas à devenir le sujet de la conversation. Toutes trois en étaient plus ou moins préoccupées, et elles en parlaient d’autant plus librement que l’âge, la contenance et la tournure d’esprit du Vénitien semblaient exclure toute gêne d’une causerie à son endroit. Elles eussent été bien plus gênées vis-à-vis d’un jeune homme qui aurait pu éveiller dans chacune d’elles un sentiment plus intense et par conséquent plus exclusif. Pour ces trois jeunes filles, aussi différentes de caractère que de physionomie, le chevalier était un objet d’agréable distraction. Il les intéressait par la variété de ses connaissances, par le caractère poétique de son esprit, par ce qu’il paraissait y avoir de mystérieux dans sa vie aventureuse, dont on commençait à deviner les principales vicissitudes. La vue du modeste appartement du chevalier, le choix de ses livres, la conversation animée qu’il avait eue avec M. Thibaut sur un sujet qui ne pouvait leur être indifférent, le délicieux portrait de femme qu’elles avaient aperçu au-dessus du piano, en fortifiant leurs soupçons, avaient accru la sympathie de chacune des trois cousines pour le chevalier Sarti. L’amour est un aliment à l’amour ; comme l’oiseau fabuleux, il renaît de ses cendres et retrouve la vie dans la pitié qu’inspirent ses malheurs. Tout homme qui confie à une femme le secret d’une passion vivement éprouvée, ou qui laisse apercevoir au fond de son cœur les traces d’un souvenir pieux et douloureux, est sûr d’exciter l’intérêt en sa faveur. Telle était la position du chevalier vis-à-vis des trois jeunes filles. La médiocrité de sa fortune, son isolement dans un pays étranger, la distinction de sa personne, l’âge où il était parvenu, conservant, au milieu de la vie, avec la maturité de l’esprit, la jeunesse de l’âme et la fraîcheur des premières illusions, tout cela donnait au chevalier un certain prestige de nature à frapper l’imagination de jeunes personnes encore dans l’adolescence. Il était pour elles un sujet de curiosité innocente, il