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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/660

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montrer dignes de nos pères. » De telles paroles semblent presque appartenir à un autre temps que le nôtre, et l’on éprouve comme une joie d’antiquaire à les recueillir. Elles produisent la surprise qu’on ressent en trouvant un arbre resté debout au milieu d’une forêt abattue.

Si le gouvernement dispose ainsi du terrain du champ de bataille, il est également maître de défendre l’usage des armes à ceux qui y combattent. La liberté de la presse et la liberté de réunion restent soumises à sa volonté. La liberté de la presse n’a, on le sait, depuis plus de dix ans, d’autre garantie que celle de la tolérance du pouvoir, qui peut faire naître et mourir les journaux à sa volonté. Les condamnations des journalistes soit à l’amende, soit à la prison, ne peuvent, il est vrai, résulter que du jugement des tribunaux ; mais les condamnations contre les journaux sous forme d’avertissement ne dépendent que d’une décision du ministre de l’intérieur, et les avertissemens, dès qu’ils ont été renouvelés jusqu’à trois fois, ont pour résultat, au gré du ministre, la suspension ou la suppression du journal averti. Or les gouvernemens sont comme les individus, le bruit les importune, le mouvement les inquiète, la censure leur est amère ; ce n’est donc pas d’eux que la liberté de la presse peut attendre la protection dont elle a besoin, et il n’y a pas lieu de s’étonner qu’ils la traitent avec rigueur dès qu’elle les gêne ou les contrarie. S’ils ont le droit de faire taire, ils sont peu tentés de laisser parler. Aussi, lorsqu’on considère que, depuis l’appréciation des événemens de l’histoire du premier empire jusqu’à l’examen des qualités d’un certain engrais recommandé par l’administration, les questions les plus discutables ont été mises hors de discussion, ne doit-on pas reconnaître que les électeurs ne peuvent guère être éclairés par les journaux sur le mérite de candidats dont le choix met directement en cause la politique du gouvernement ? Dans un grand nombre de départemens, il n’y a d’autre journal que celui de la préfecture, et dans ceux qui sont plus favorisés il n’y a toujours qu’une seule opinion que les journaux puissent servir impunément. Pendant la période des élections plus qu’en tout autre temps, la circonspection la plus craintive leur est commandée par l’expérience des mesures auxquelles s’exposent les plus hardis ou même les plus timides, et ils apprennent à leurs dépens qu’il n’y a pas pour eux, même dans l’intérêt des électeurs, la moindre trêve de Dieu. Aussi ce ne sont pas seulement des électeurs inconnus les uns des autres qui, au moyen de la circonscription territoriale, sont donnés aux candidats, mais encore, par suite du régime auquel la législation de la presse est soumise, les candidats sont obligés de s’adresser à des électeurs qui pour la plupart n’ont pu faire qu’incomplètement leur éducation de citoyens.