Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/692

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les bestiaux à de grandes distances. Il fallait tout tirer de la Vera-Cruz, et là était justement la difficulté. Ces trente-trois lieues qui séparent Orizaba de la mer, on ne pouvait les parcourir qu’au prix d’efforts immenses. Il fallait rassembler péniblement des moyens de transport, faire escorter les convois, se battre souvent contre les guérillas qui tentaient d’intercepter la marche, se mesurer avec tous les obstacles naturels, aggravés par la saison des pluies. De la Tejeria, près de la Vera-Cruz, à la Soledad, il n’y a que six lieues; on mettait six jours à les parcourir, traînant les voitures à travers les terrains marécageux. On ne pouvait avancer qu’à l’aide du travail incessant des sapeurs du génie, et quelquefois on marchait pendant dix-huit heures de suite sans pouvoir trouver un emplacement sec où le soldat pût se reposer. Le résultat le plus heureux était de faire arriver un convoi en un mois, et il y eut des momens où les vivres étaient sur le point de manquer, où on était réduit à diminuer les rations pour les hommes et pour les chevaux. La population affamée commençait à émigrer. Ainsi vivre au jour le jour, sans ravitaillemens assurés, ne maintenir qu’à grand’peine les communications avec la Vera-Cruz par l’occupation forcée de toute une ligne de postes, et en affaiblissant la défense d’Orizaba par cette dissémination nécessaire de petites garnisons, attendre dans une inaction ingrate et irritante, voilà donc à quoi se passaient plus de quatre mois. La situation pouvait être plus violente et plus périlleuse, elle ne pouvait être plus oppressive pour une poignée d’hommes jetés à deux mille lieues de la France et réduits à tout attendre d’eux-mêmes.

Et cependant, qu’on le remarque bien, il y avait parmi nous des Mexicains; il y avait, disait-on, une masse de population sensée et fatiguée d’anarchie qui nous attendait; il y avait dans notre camp un chef suprême de la nation qui s’était institué lui-même à l’abri de notre drapeau, un simulacre de gouvernement qui se remuait à notre ombre, qui rendait des décrets, émettait du papier-monnaie, se donnait le passe-temps de rédiger des dépêches ou de destituer des généraux, et célébrait même avec la ponctualité sérieuse de la routine les fêtes du calendrier mexicain. A quoi nous servait cette alliance, rendue plus sensible par l’arrivée du général Almonte et par ses prétentions de chef suprême? A rien; elle nous compromettait, elle nous isolait, elle rétrécissait la politique de la France, elle donnait à notre intervention la couleur d’une compétition de parti. De cette présence du général Almonte, notre armée ne retirait pas même le faible avantage de quelques facilités de plus, d’une intelligence plus intime avec le pays. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la correspondance du général de Lorencez résumée dans un rapport