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I. — CHANSONS HISTORIQUES ET POLITIQUES.

Il y a dans la poésie populaire anglaise un élément tout local dont il faut tenir compte, et qu’on ne retrouve pas chez les Italiens, soit que leur génie essentiellement lyrique, élément qu’on ne retrouve pas, répugne au genre narratif, soit que, longtemps déshérités de ces conditions vitales pour un peuple, l’indépendance et l’unité, la matière même ait manqué chez eux à la chanson historique et politique. Les Anglais au contraire ont aimé de tout temps à faire intervenir la raison d’état et les intérêts de la nation jusque dans leurs passe-temps et leurs jeux d’esprit. Guillaume le Conquérant, dit un chroniqueur, fit venir du royaume des Francs, outre Taillefer, « qui moult bien cantoit, » des chanteurs et des jongleurs qu’il paya pour chanter ses louanges sur les places publiques : premier hommage rendu par le rusé Normand à l’importance politique de la chanson. C’est en Angleterre qu’a été dit ce mot profond : « Laissez-moi faire les chansons d’un peuple, et je vous abandonne ses lois. »

Le premier monument connu de la chanson politique en Angleterre est une espèce de prose latine rimée du temps de la guerre des barons au XIIIe siècle, où l’on retrouve déjà, sous une forme pédantesque et cléricale, les principaux argumens en faveur de la Grande-Charte et les premiers linéamens en quelque sorte des trois pouvoirs qui doivent concourir à former la constitution britannique[1]. C’est aussi en vers mi-partis de franco-normand et d’anglais que l’on chansonna la mauvaise foi d’Édouard II, qui était revenu sur sa confirmation de la Grande-Charte. « L’on peut faire et défaire ; ainsi en use-t-on trop souvent. Cela n’est ni bon ni loyal, et par là l’Angleterre est ruinée. Notre prince, par le conseil de son peuple, convoqua un grand parlement à Westminster après la foire. Il nous fit une charte de cire, je l’entends et le crois bien ainsi : on l’a tenue trop près du feu, et la voilà fondue. »

La plupart des chansons historiques composées en Angleterre au xive siècle et au commencement du XVe rappellent, avec nos revers, les succès des armes anglaises. Telle est celle sur la prise de Calais en 1347. On y décrit l’arrivée des bourgeois qui viennent remettre à Édouard les clés de la ville ; mais d’Eustache de Saint-Pierre, de

  1. Cur conditionis
    Pejoris efficitur princeps, si baronis,
    Militis et liber ires ita tractantur ?…
    Quæ pars (le parti des barons) palam protestat
    Quod honori regio nihil machinatur,
    Vel quærit contrarium, imo reformare
    Studet statum regium et magnificare.