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pas fait la part de cet élément celtique toujours persistant sous l’idiome imposé par la conquête que Ritson ne trouvait pas de réponse satisfaisante à la question qu’il s’était posée. Il est certain qu’il y a dans la chanson populaire irlandaise une certaine humour, un tour particulier d’expression que les Anglais rendent par le mot quaintness, et qui ne se trouve pas ailleurs. À quoi l’attribuer, si ce n’est à ce fond celtique qui s’y fait jour à travers la forme anglaise dont on l’a recouvert ? M. Groker, qui a recueilli les chants populaires de l’Irlande, constate que le caractère national est éminemment sympathique au genre de la chanson. « Heureux ou malheureux, dit-il, triste ou gai, l’enfant d’Érin chante toujours, et dans toutes les situations on pourrait dire de lui ce qu’un roi de Sardaigne disait des Français : Eh bien ! comment va la petite chanson ? » Quoique malheureuse et déshéritée au profit de sœurs mieux traitées par le sorts l’Irlande, cette Cendrillon des nations, comme l’appelle un de ses écrivains, est restée fidèle à cette forme de littérature poétique et musicale depuis le temps où, sous chaque toit, son antique hospitalité tenait toujours deux harpes à la disposition du voyageur.

Nous retrouvons les Stuarts et la France dans la plupart des chansons historiques irlandaises. Au fond de cette double sympathie, la haine contre l’Angleterre entrait sans doute pour beaucoup, et l’on chante encore ce refrain en chœur dans le sud de l’Irlande : « Jetons à la mer ces intrus Saxons ! ils sont venus sans être invités ; donnons-leur la bienvenue avec l’épée ! »

Boyne Water et la Mort de Schomberg sont citées comme les meilleures chansons de la première guerre jacobite en Irlande. Nous en parlons ici parce que les sentimens en sont tout irlandais et que le drame historique auquel elles se rapportent eut son dénoûment en Irlande. En voici une qu’on attribue au capitaine Ogilvie, l’un des cent gentilshommes qui, à la suite de la défaite du roi Jacques, formèrent en France la brigade irlandaise, et, après des prodiges de valeur, périrent presque tous sur les bords du Rhin.


« Ce fut pour notre roi légitime que nous abandonnâmes les rives de l’Ecosse et que la terre irlandaise nous vit combattre.

« Maintenant nous avons fait tout ce que les hommes peuvent faire, et nous l’avons fait en vain. Adieu mes amours et ma terre natale, car il faut traverser l’Océan !

« Il se retourna au moment de quitter le rivage de l’Irlande, et tira vivement les rênes en s’écriant : Adieu ma chère, adieu pour toujours !

« Le soldat revient des guerres, la mer rend le matelot à ses foyers ; mais je me sépare de mes amours pour ne les revoir jamais.

« Quand le jour a disparu, quand la nuit est venue et que le sommeil