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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/941

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que le public venait voir avec tant d’empressement, et qui semblait un tribut de talent et de reconnaissance payé à la patrie, que deviendra-t-il ? Dans cinq ans, dès que les nouvelles mesures auront produit tout leur effet, les envois seront si peu nombreux, si chétifs, qu’on n’osera plus les exposer. Ah ! j’avais raison de le dire en commençant, mieux valait supprimer d’un seul coup l’école de Rome.

Les questions qui touchent à l’enseignement, à la direction des intelligences, à l’avenir de l’art ou des lettres, sont à la fois délicates et redoutables : quand on altère l’ordre établi, on ne sait jamais quel bien on obtiendra, on voit toujours quel mal on aura fait. Il faut plusieurs générations et l’effort insensible du temps pour fonder, améliorer, corriger ces grandes institutions qui honorent un peuple ; mais quand on y porte la hache, tout dépérit. Une expérience récente a cependant appris au gouvernement le danger des réformes radicales en matière d’enseignement. Il y a dix ans, on a réformé l’École normale, les lycées, toute l’Université. Ce changement ne s’est point fait sans précautions et n’a point été un coup de surprise comme celui d’aujourd’hui, dont nous n’avons été avertis que par le Moniteur. Le conseil impérial de l’instruction publique a été consulté : de longues discussions ont eu lieu ; les inspecteurs-généraux des sciences ont exposé leur système et l’ont fait triompher sur le système des inspecteurs-généraux des lettres. La révolution faite, qu’est-il arrivé ? Après quelques années, l’affaiblissement des études, l’entraînement irréfléchi des jeunes gens vers les spécialités, la décadence de l’École normale, la langueur de l’Université sont devenus si manifestes que le gouvernement en a été effrayé. Aujourd’hui quelle est la première mission confiée au ministre de l’instruction publique ? C’est de tout rétablir dans l’ordre primitif, l’enseignement, les concours, les programmes, et jusqu’aux noms des chaires qu’on avait supprimées.

Il en sera de même dans les arts ; on voudra, avant qu’il s’écoule beaucoup de temps, refaire ce que l’on détruit aujourd’hui. Seulement le mal sera plus grand encore que dans les lettres, car la pensée pure est quelque chose de plus indépendant, de plus individuel que la pensée traduite par la matière, et si le style de l’écrivain est un don naturel, le style du peintre et du sculpteur est une qualité acquise. L’enseignement, la tradition, l’esprit de suite, la doctrine, sont donc encore plus nécessaires aux artistes, et, la chaîne une fois rompue, il est bien difficile de la renouer.

M. Ingres, à la fin de sa réfutation du rapport déjà cité, écrivait, à propos des changemens introduits à l’École des Beaux-Arts de Paris, ces nobles et courageuses paroles : « En résumé, j’ai l’honneur