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« Laissé seul dans sa prison, muni de plumes et d’encre, libre d’employer comme il le voudrait ce malheureux bras droit que la torture avait disloqué, Savonarole écrivit en effet ; mais ce ne fut ni pour affirmer son innocence, ni pour protester contre les traitemens qu’il avait subis. Ce qu’il écrivit alors n’est qu’un long entretien avec cette pure Essence divine où il voulait pour ainsi dire s’absorber, ce sont les épanchemens de l’humiliation volontaire, les ardentes aspirations de l’âme qui cherche à se renouveler. Le temps n’est plus où il s’affirmait avec véhémence. Nous ne retrouvons pas le plus faible écho de cette voix qui disait : Mon œuvre est bonne, et ceux qui la combattent sont les fils de l’enfer. Au lieu du triomphe, c’est la tristesse qui parle, et voici ce qu’elle dit : Dieu t’a placé au milieu du peuple comme un de ses élus. À ce titre, tu enseignais les autres, et tu n’as pas su renseigner toi-même. Tu as guéri les autres, et ta propre infirmité s’est trouvée sans remède. Ton cœur s’était enorgueilli devant la beauté de tes propres actes, et c’est par là que ta sagesse a péri, c’est par là que tu es devenu ce que tu resteras toujours, la proie du néant… Vienne à luire un rayon d’espérance, il n’entrevoit pas les victoires promises à sa grande œuvre, et n’accepte pour gage de la tendresse, de la miséricorde dont il est l’objet, que l’esprit de pénitence et de soumission développé en lui par les rigueurs de sa destinée. Si tu étais oublié du ciel, se dit-il, le don du repentir ne te serait pas ainsi prodigué… Aucun témoignage valable n’établit que Savonarole, — ni pendant son séjour dans les cachots, ni même à l’instant de la crise suprême, — se soit cru ou se soit proclamé martyr. L’idée de mourir pour la cause qu’il voulait faire triompher était mêlée pendant la lutte à ses rêves d’avenir. Maintenant, à la place de l’une et l’autre chimère, une résignation qu’il ne décorait d’aucun nom glorieux dominait toutes ses pensées. Il n’en a que plus de droits à être appelé martyr par toutes les générations d’hommes qui sont venues ou viendront après lui. En effet, s’il fut en butte aux attaques des puissans de la terre, sa grandeur l’avait fait leur ennemi, non ses fautes. On ne le punit pas d’avoir cherché à décevoir ses concitoyens, mais d’avoir cherché à les relever de la corruption, et ce fut en expiation de ce noble effort que lui fut imposée une double agonie : la première, la moins douloureuse, celle des injures publiques, des tourmens corporels, des angoisses du trépas ; la seconde et la plus terrible, cette déchéance qui le précipita brusquement du sein de ses visions splendides au fond des ténèbres épaisses où il disait simplement : Je ne compte plus pour rien ici-bas ; l’obscurité m’enveloppe de toutes parts, et pourtant la lumière que j’ai entrevue était bien la vraie lumière. »

L’épilogue du roman nous transporte à l’année 1509, onze ans après le supplice de Savonarole. Le réformateur florentin n’est pas encore réhabilité ; mais l’opprobre et la haine publique, s’écartant peu à peu de sa mémoire, planent sur la tête de ses persécuteurs. Romola, dont les regards l’ont suivi jusque sur le bûcher, lui voue, comme tant d’autres piagnoni, un culte fidèle. Sur un autel revêtu de draperies blanches, décoré de cierges et de bouquets, elle conserve