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Quand, dans le Barbier de Séville, on dit à Basile qu’il est malade, la peur rend crédule cet honnête personnage, et aussitôt le drôle blêmissant se met à grelotter la fièvre. Nos peureux doivent être plus rassurés aujourd’hui. Les souverains européens résistent mieux que Basile. Ils ne consentent point à se trouver aussi malades qu’on l’avait proclamé. Autriche, Prusse, confédération germanique ne veulent même pas croire que les traités de 1815 soient défunts. Il y a le ridicule du malade chimérique joué par la comédie ; la politique contemporaine nous en fournit le pendant : c’est le ridicule de la santé imaginaire. Il n’est pas jusqu’au gouvernement russe, tout taché du sang polonais, flétri par ses barbares persécutions contre des femmes, qui ne se croie si bien en état de grâce qu’il se met à entonner un cantique humanitaire en l’honneur de la paix et du progrès.

Puisqu’on ne peut saisir en bloc le mal européen, il faut bien se résigner à le suivre par le détail. La crise du jour est la question dano-allemande. Bien des gens, même parmi les plus frottés de politique, s’associeraient volontiers au franc aveu qui vient d’échapper à M. Layard à propos de cette question. M. Layard est sous-secrétaire d’état au foreign-office. Les controverses les plus ardues de la casuistique diplomatique devraient, par grâce d’état, être intelligibles et claires pour lui. Avec un sans-façon tout britannique et qui scandalisera les diplomates allemands, M. Layard a confessé à ses électeurs de Southwark qu’il n’est pas sûr de bien comprendre la question de Slesvig-Holstein. Espérons qu’un différend dont le sens est impénétrable à l’intelligence occidentale, devant lequel Français et Anglais donnent leur langue aux chiens, ne mettra pas le feu à l’Europe. La justice, appuyée par les traités, nous avait toujours paru à ce propos consister en ceci : l’Allemagne n’avait pas tort de réclamer pour l’autonomie du Holstein et du Lauenbourg, qui font partie de la confédération germanique ; mais le Danemark avait raison de comprendre dans la constitution de la monarchie le Slesvig, qui en fait depuis plus de quatre siècles partie intégrante, et que des hasards de succession auraient pu seuls en détacher. Or ces hasards de succession ont été prévenus par le traité de 1852, auquel les deux grandes puissances allemandes ont adhéré. Aujourd’hui, sans aller aussi loin que leurs confédérés, la Prusse et l’Autriche semblent vouloir subordonner les droits d’hérédité que le roi de Danemark tient des traités à l’abrogation des dispositions de la constitution danoise qui concernent le Slesvig. Cette politique est étrange de la part de deux puissances essentiellement légitimistes, qui par conséquent donnent au droit héréditaire une valeur inconditionnelle et absolue, et le considèrent comme le point cardinal de la légalité politique. Est-il au pouvoir du Danemark d’apaiser par quelques concessions de forme l’irritation de l’Allemagne ? Si des concessions sont possibles, il serait à souhaiter qu’elles fussent accordées avant l’exécution fédérale, dont la date imminente a été dénoncée par la diète au gouvernement danois.