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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/1029

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soixante-quinze ans. On se serait trompé sur quelques points qu’il n’y aurait rien d’extraordinaire. Ce qui importe, c’est l’ensemble des dispositions prises. Or il est impossible de n’être pas frappé de l’esprit général d’équité, de bonne foi, de justice distributive, de libéralisme éclairé, qui anime ce grand travail. On y trouve sans doute des complications inévitables dans l’état de la France, mais on y voit aussi un effort sincère pour tout simplifier autant que possible.

Comment le territoire devait-il être divisé pour les élections ? Telle était la première question à résoudre. Aux états de 1614, on avait voté par bailliages et sénéchaussées, et précisément parce qu’il voulait beaucoup changer aux anciennes formes, Necker commença par adopter sur ce point la solution conforme à l’histoire. On appelait communément bailliage dans le nord et sénéchaussée dans le midi l’étendue de la juridiction d’un bailli ou sénéchal. Le ministre échappait ainsi à la division administrative en généralités, que repoussait le sentiment public à cause des souvenirs d’arbitraire et de fiscalité qui s’y rattachaient ; il évitait de faire jouer aucun rôle dans les élections aux Intendans et à leurs subdélégués, officiers publics autrefois tout-puissans et devenus fort impopulaires. Ensuite, l’étendue moyenne d’un bailliage ou d’une sénéchaussée étant égale à la moitié environ d’un département d’aujourd’hui, on pouvait réunir au chef-lieu les représentons des différens ordres pour procéder aux élections, sans leur imposer des déplacemens trop pénibles et sans former des assemblées trop nombreuses. — M. Chassin n’approuve pas cette division. Qu’aurait-il voulu qu’on mît à la place ? Sa grande objection porte sur l’extrême inégalité que présentaient, selon lui, les bailliages et les sénéchaussées. Cette inégalité était réelle, mais il l’exagère. Il cite le fameux exemple qui se trouve partout, la comparaison entre le bailliage de Vermandois, qui comptait 674,504 habitans, et le bailliage de Dourdan, qui n’en avait que 7,462, entre le bailliage de Poitiers, qui avait 692,810 âmes, et le bailliage de Gex, qui n’en comptait que 13,052. Si de pareilles inégalités s’étaient présentées entre toutes les circonscriptions, l’objection aurait une assez grande valeur ; mais ces exemples n’étaient que des exceptions. Sait-on où ils se trouvent pour la première fois, et où tous les détracteurs de Necker ont été les chercher ? Dans le rapport adressé au roi par Necker lui-même. Puisque cette considération ne l’a pas arrêté, c’est qu’elle n’avait pas sa portée apparente. En réalité, le plus grand nombre des bailliages et des sénéchaussées offrait de grandes analogies de territoire et de population. Que dirait-on si, pour marquer l’inégalité actuelle entre les départemens, on se bornait à mettre en présence le département du Nord, qui a 1,300,000 habitans, et le département des Hautes-Alpes, qui en a 125,000, celui de la Seine et celui de la Lozère ? En Suisse, le canton de Berne a 450,000 habitans, et le canton d’Uri 14,000. Est-ce une raison suffisante pour tout bouleverser ?

Quelles que fussent d’ailleurs ces différences, elles disparaissaient devant ces termes de l’édit de 1788 : le nombre des députés de chaque bailliage