Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en vain lasser les Ioniens par ces dissolutions successives. Chaque fois que l’on consultait ainsi son suffrage, le peuple septinsulaire renvoyait des députés avec le mandat de n’accepter plus aucune transaction avec le gouvernement protecteur et de répéter constamment la demande d’union. Les hauts-commissaires ne gagnaient aux dissolutions que de voir arriver des parlemens d’une couleur toujours plus accentuée. Dans celui qui sortit des élections de 1862, la majorité appartenait pour la première fois aux rhizospastes. Il se fit, comme le précédent en 1861, proroger au bout de quelques jours de séances pour avoir à son tour exprimé le vœu de l’annexion des sept îles à la Grèce.

Telles ont été les phases de la question des Iles-Ioniennes jusqu’au jour où la révolution de Grèce a paru subitement changer les dispositions de l’Angleterre et lui a fait ouvrir l’oreille à des vœux qu’elle avait jusqu’alors refusé d’écouter. Les peuples cependant, comme les individus, se trompent quelquefois sur leurs véritables intérêts. Ce qu’ils ont le plus passionnément désiré finit souvent par faire leur malheur, et l’on a vu des erreurs de ce genre amener d’amers regrets lorsque l’expérience en a eu dévoilé les résultats. En sera-t-il ainsi pour les Iles-Ioniennes ? C’est ce que prétendent les Anglais. Ils soutenaient jadis que l’Angleterre ne gardait les sept îles que pour leur bien, qu’elle leur procurait le bonheur le plus absolu et la liberté la plus complète, et que consentir à l’abandon du protectorat et à l’union à la Grèce serait causer un tel préjudice aux Ioniens que le gouvernement britannique ne pouvait pas en prendre la responsabilité devant l’Europe. Aujourd’hui qu’ils se sont décidés à la prendre et à faire droit aux demandes tant de fois exprimées par le peuple septinsulaire, ils consolent leur amour-propre, quelque peu humilié par un désir si vif et si persistant, en disant que les Ioniens ont été des ingrats et des insensés, qu’ils ne seront pas longtemps à regretter les bienfaits de la domination britannique et à se repentir de s’être unis à la Grèce.

À cela nous répondons qu’une telle espérance n’est pas très sérieuse. Le patriotisme est une si puissante chose en ce monde, que l’on n’a pas encore vu un peuple qui ne préférât le plus mauvais des gouvernemens, pourvu qu’il soit national, à l’idéal des gouvernemens, s’il est exercé par des étrangers. Certes la Grèce est bien loin d’être encore ce qu’elle doit être, « le royaume modèle de l’Orient, » comme l’a si bien dit le roi George dans la proclamation de son avènement. Son administration n’est pas bonne, ses classes politiques sont corrompues et égoïstes, les ambitions et les jalousies personnelles, l’esprit de faction, les querelles de clocher y ont une vivacité et une importance profondément regrettables ; la conduite de ses