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puissances protectrices veulent réellement clore pour la Grèce l’ère des révolutions et consolider la nouvelle dynastie, il faut qu’ils lui permettent de conserver intacte la dignité nationale, et qu’ils ne l’obligent pas à passer sous les fourches caudines au lendemain de son avènement.

Quant à l’Angleterre, nous avons peine à croire qu’une réflexion plus mûre, en lui faisant mieux apprécier les conséquences que ne saurait manquer d’avoir le traité du 14 novembre, ne dissipe pas chez elle des inquiétudes mal raisonnées, et ne l’amène pas à renoncer elle-même à une partie des conditions onéreuses qu’elle a fait imposer à la Grèce. Il s’agit de sa renommée et de son influence sur les populations orientales. Le vieil honneur britannique réclame une conduite autre que celle tenue envers les Ioniens. L’opinion publique, toute puissante au-delà de la Manche, fera, nous l’espérons, sentir sa pression sur le cabinet pour l’obliger à rentrer dans une voie plus droite, plus conforme aux traditions libérales de la nation britannique. L’Angleterre voudra-t-elle, dans cette occasion solennelle pour son honneur politique, se faire accuser de duplicité ? Consentira-t-elle à ce que ses adversaires puissent dire qu’elle n’a donné d’une main que pour retirer de l’autre ? Elle est trop sage et trop clairvoyante pour ne pas reconnaître qu’elle serait la première à en souffrir. Son crédit moral dans le Levant en subirait une grave atteinte, et elle perdrait tout le bénéfice qu’elle aurait eu le droit d’attendre de sa générosité. Quel noble exemple au contraire ne donnerait-elle pas au monde, quelle pure gloire ne s’acquerrait-elle pas si, après avoir été la première à concéder à ses colonies une vie de pleine indépendance, comme celle dont jouit l’Australie, elle se montrait encore la première à savoir abandonner librement et sans arrière-pensée un territoire que les armes ne lui ont pas arraché, par le seul sentiment du respect du droit et de la justice, et pour satisfaire aux demandes des populations ! Quand une puissance telle que l’Angleterre donne, elle doit donner entièrement et sans rien retenir. C’est la seule conduite qui soit vraiment digne d’elle.


FRANCOIS LENORMANT.