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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/186

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ruses, les artifices d’un homme sans fortune, d’un étranger qui cherchait à fixer sa destinée vagabonde.

Mise ainsi en possession du secret de ce roman intime, Mme Du Hautchet se demanda tout d’abord comment elle pourrait se venger du chevalier, par quel moyen elle pourrait contrecarrer ce qu’elle appelait ses vues ambitieuses. Chercher à lui nuire dans l’esprit de Mme de Narbal, cela n’était pas facile. La comtesse avait un goût réel pour la personne de Sarti, dont elle estimait le caractère, et aucune suggestion désobligeante pour son hôte n’eût été accueillie par elle. Mme Du Hautchet aurait bien essayé de le tourner en ridicule auprès des trois cousines ; mais la simplicité de manières du chevalier, son brillant esprit et l’absence de toute prétention, qui était un trait saillant de son caractère, ne rendaient pas facile non plus l’emploi de cette arme redoutable. Elle s’y prit mieux en cherchant à gagner sa confiance, en plaidant sa cause auprès de Frédérique, en paraissant approuver tout haut le sentiment qu’elle prêtait à la jeune fille pour Lorenzo Sarti, dont elle faisait les éloges les plus pompeux.

— Mon enfant, dit-elle un jour à Frédérique avec le ton doucereusement affecté qui lui était propre, vous devez être fière des attentions qu’a pour vous M, le chevalier Sarti et bien heureuse des soins qu’il vous prodigue. Il semble n’avoir d’yeux ici que pour vous. Sentez-vous tout le prix de ces faveurs de la part d’un homme de ce mérite ?

— Oui, madame, répondit Frédérique avec timidité, je suis touchée des bontés que M. le chevalier veut bien avoir pour moi, et je me demande souvent ce qui a pu m’attirer une telle bienveillance.

— Mais vos beaux yeux, ma chère enfant, répliqua Mme Du Hautchet en prenant la main de Frédérique, vos talens et le désir de vous plaire sans doute.

— Oh ! s’écria la jeune fille avec une incrédulité charmante qui paraissait sincère, M. le chevalier a trop de choses dans l’esprit pour trouver quelque plaisir à s’entretenir avec une écolière comme moi. Ce sont ses propres idées qui l’intéressent avant tout, et peut-être ne suis-je pour lui qu’une occasion agréable de parler de ce qu’il aime, de la musique et de toutes les belles choses dont il a l’imagination remplie. Il parle si bien !

— C’est vrai, répondit Mme Du Hautchet, un peu désappointée de la réponse pleine de réserve que lui fit Frédérique ; c’est un homme très remarquable que M. le chevalier Sarti, et digne vraiment de faire le bonheur d’une femme. Pourquoi donc ne s’est-il jamais marié. Le savez-vous, ma chère enfant ?

— Oh ! dit Frédérique avec un demi-sourire mélancolique, c’est