Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/252

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
248
REVUE DES DEUX MONDES.

spective devait sérieusement inquiéter les grandes puissances européennes. Ces grandes puissances devaient envisager avant tout le côté politique et européen de la question. La question d’intérêt européen, c’était le maintien de l’état territorial de la monarchie danoise. Peu importait que cet état territorial fût le résultat de telle ou telle loi d’hérédité amenant l’annexion de races parlant des langues différentes ; ce qui importait, c’est que cet état territorial avait reçu la consécration des siècles, qu’il avait mis les clés importantes de la Baltique aux mains d’une puissance qui n’était pas assez forte pour user de son privilège d’une façon égoïste et tyrannique, et n’était pas trop faible pour faire respecter au besoin son indépendance et sa neutralité, et qu’il avait permis au Danemark de remplir un rôle utile à l’Europe. Les grandes puissances, unanimement frappées de ces considérations d’intérêt européen, firent le traité de 1852. Ce traité régla la succession danoise par un arrangement désintéressé de la part des puissances, conservateur au point de vue des intérêts européens et libéral pour le Danemark. On parvint au résultat nécessaire au moyen de renonciations obtenues en faveur du roi actuel. La maison impériale de Russie, qui aurait pu revendiquer la portion du Holstein où se trouve précisément le port de Kiel, fit abandon de ses prétentions ; les princes allemands cédèrent leurs droits sur d’autres parties de l’héritage, et le duc d’Augustenbourg échangea les siens contre une indemnité pécuniaire. Ce traité, œuvre de raison et de prévoyance, fut signé par les deux grandes puissances germaniques, et reçut l’adhésion de plusieurs états secondaires d’Allemagne. Il est regrettable qu’il n’ait point été présenté à l’acceptation de la diète en même temps qu’aux diverses cours allemandes. Se défiait-on des résistances de la diète ou de ses lenteurs ? Mais on en fût venu bien facilement à bout en 1852 ; l’influence de l’Autriche et de la Prusse, unies au même engagement par une signature toute fraîche encore, aidées par les adhésions obtenues de plusieurs cours secondaires, eût aisément vaincu quelques résistances qui n’eussent point été alors encouragées par un vif mouvement d’opinion allemande. A-t-on cru que l’approbation de la diète était inutile, ou plutôt l’a-t-on tenue à l’écart systématiquement dans la pensée, alors dominante parmi les cabinets, de l’exclure le plus possible de la délibération des questions européennes ? En agissant ainsi, on s’est privé d’un concours qui serait aujourd’hui bien précieux, on a blessé la susceptibilité de l’amour-propre allemand, on a involontairement fourni à la diète le prétexte de faire des réserves sur la succession des duchés et d’augmenter par cette réticence l’exaltation de l’opinion publique allemande, qui aspire maintenant à séparer définitivement le Slesvig et le Holstein de la monarchie danoise en les revendiquant comme l’héritage du duc d’Augustenbourg.

Le danger de la situation est en effet la surexcitation du patriotisme allemand, trop longtemps froissé par la mauvaise organisation de la confédération germanique et l’impuissance à laquelle cette organisation le condamne dans la délibération et la solution des questions européennes. On