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REVUE. — CHRONIQUE.

triomphe de l’incohérence des partis. D’un côté, c’est M. Posada Herrera essayant de reconstituer l’union libérale en opposition, accusant le cabinet de toute sorte de méfaits qu’il a certainement surpassés dans sa carrière ministérielle, lui reprochant ses excès de pouvoir, lorsque lui-même il s’est servi sans mesure d’une loi sur la presse qu’il avait combattue, et en définitive n’arrivant qu’à trop laisser percer le regret de n’être plus ministre et le désir de l’être de nouveau. D’un autre côté, c’est M. Nocedal reprenant l’apologie de la politique modérée pure qu’il croit avoir représentée il y a quelques années comme ministre de l’intérieur, et qu’il compromit singulièrement à cette époque par ses intempérances, par des actes comme la loi sur la presse, qui dure encore. C’est le comte de San-Luis enfin, qui remonte bien plus haut, qui entreprend l’apologie rétrospective de sa politique et reproduit l’histoire des scènes qui précédèrent la révolution de 1854.

Le comte de San-Luis, si l’on s’en souvient, était président du conseil en ce temps-là, lorsqu’une révolution trop facile à prévoir emportait tout. Il avait passé neuf ans dans le silence ; il a senti aujourd’hui le besoin de se défendre, d’attaquer à son tour, en prenant à partie un des ministres actuels, le général José de la Concha, à l’occasion de toutes ces choses anciennes, de réchauffer en un mot tous ces souvenirs irritans, et il en est résulté un de ces incidens tout personnels qui ne font qu’ajouter aux divisions, en affaiblissant les hommes, sans aucun bien pour le pays ni même pour la dignité des partis. Le comte de San-Luis a tiré de l’ombre où elle était ensevelie une lettre que le général José de la Concha aurait écrite peu avant la révolution de 1854, et d’où il résulterait que les organisateurs de ce mouvement ne se bornaient plus à poursuivre un changement de ministère, qu’ils songeaient à « couper la retraite à la cour. » Il n’est peut-être pas certain qu’on ait persuadé à tout le monde que le mouvement de 1854 était pur de toute arrière-pensée anti-dynastique ; mais en même temps une question bien simple s’élevait : cette lettre secrète que le comte de San-Luis exhumait, comment l’avait-il eue ? S’il l’avait interceptée à la poste, le procédé n’était peut-être pas des plus avouables : il n’était pas de ceux qu’on déclare publiquement à la tribune ; si cette lettre avait été saisie chez quelques-uns des conspirateurs de ce temps par l’action de la justice, comment le comte de San-Luis se trouvait-il détenteur d’une pièce qu’il n’avait pu connaître que comme ministre, sur laquelle il n’avait plus aucun droit comme homme privé, et qui appartenait à la justice ou à l’état ? De toute manière, c’était par trop mêler la police à la politique, et si le comte de San-Luis a pu nuire au général Concha par ses révélations, il a certainement commencé par se nuire à lui-même en compromettant l’autorité d’une défense rétrospective au moins oiseuse par la nature des moyens qu’il employait et par ses procédés de discussion. Voilà comment cette discussion de l’adresse a ressemblé bien plus à une série de conflits personnels qu’à un grand débat politique.