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REVUE. — CHRONIQUE.

déjà d’un heureux augure : M. le ministre de l’instruction publique, en approuvant la présentation de la faculté des lettres en faveur de M. Saint-René Taillandier, collaborateur de M. Saint-Marc Girardin depuis vingt années dans la presse périodique et dans l’enseignement supérieur, avait fait preuve d’esprit de justice et d’impartialité. La mission était des plus périlleuses, il faut en convenir. Ce qu’était le professeur et quel auditoire il s’était fait, chacun le sait, et nous l’avons dit dans la Revue. En venant s’asseoir, après quelques mois d’intervalle, dans ce même amphithéâtre, comment ne pas rencontrer la diversion d’un tel souvenir ? Il y avait une autre difficulté dans la méthode à laquelle l’auditoire de M. Saint-Marc Girardin s’était accoutumé. On n’enseigne pas à Paris comme à Londres ou à Berlin ; bien plus, entre les différentes méthodes qui nous sont familières, il en est une, éloquente au sens propre du mot, dont le mérite est de solliciter l’écrivain ou l’orateur à se mettre en vive communication avec ses lecteurs ou son auditoire, dont le principe ou le moyen habituel est de ne jamais perdre de vue la sphère des idées générales, et cependant de toucher la terre par de constantes applications aux faits et aux idées qui nous entourent. M. Saint-Marc Girardin avait encore beaucoup ajouté du sien à cette méthode, et avec un rare bonheur ; mais à tout imitateur malavisé il eût assurément légué plus d’un péril. Le moindre n’était pas cette excitation des esprits qui allaient au-delà même des paroles de l’orateur ; celui-ci devait, tout en se livrant en apparence, rester attentivement sur ses gardes, et, au milieu d’une parole facile, prompte, animée, conserver un juste équilibre, calculer les portées, opérer les mouvemens de retraite ou d’attaque. Et c’était précisément ce qui faisait ces vifs entretiens où l’auditoire avait une si grande part. Plutarque raconte que les Romains, assiégeant Syracuse défendue par Archimède, en étaient venus à concevoir une telle idée de son habileté d’ingénieur qu’au moindre bout de corde qui se montrait au-dessus des murs ils croyaient à quelque nouvelle machine de son invention. À certains jours, il en était un peu de même de l’auditoire de la Sorbonne, et nous ne serions pas étonné que M. Saint-Marc Girardin se fût trouvé parfois dans le cas de répondre à quelque esprit chagrin comme fit Marmontel au duc de La Vauguyon. Le duc, à qui Marmontel présentait pour les fêtes du mariage du dauphin avec Marie-Antoinette le poème de Zémire et Azov ou la Belle et la Bête, exprima la crainte que la cour ne vît là une fâcheuse allusion : « Ah ! monsieur le surintendant, répondit Marmontel, c’est vous qui l’avez trouvée ; mais rassurez-vous, je vous garderai le secret. »

Contre les deux sortes de danger qui l’attendaient, M. Saint-René Taillandier s’est fort habilement prémuni tout d’abord, en se plaçant, par quelques mots très bien dits, sous la protection même du souvenir qui devait, au premier jour, occuper tous les esprits. Il a caractérisé avec une rare justesse et un vrai bonheur d’expression, « sous cette parole tour à tour si ingénieuse et si dramatique du maître dont il occupait la place, les doctrines