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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/310

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année on coupe spergule et sarrasin ensemble pour les donner en fourrage au bétail. Dès que la terre est complètement épuisée, on l’abandonne à la végétation naturelle, qui ne tarde pas à s’en emparer. Alors la spergule disparaît bientôt pour faire place à une plante de la famille des composées, le senecio sylvaticus, à laquelle succèdent ensuite l’oseille sauvage (rumex acetosella) et une graminée (holcus lanatus). Enfin la flore distinctive des tourbières reparaît : les deux espèces d’éricas, le jonc, l’eriophorum, le sphagrum, reprennent possession d’un sol dont la constitution particulière favorise leur croissance. Il faut alors de vingt-cinq à cinquante ans pour que la superficie de la tourbière se recouvre d’une nouvelle couche qu’on puisse exploiter encore, et même après ce long intervalle le terrain se montre moins favorable à la culture du sarrasin et ne permet plus que quatre ou cinq récoltes successives.

A côté de cette culture intermittente et presque nomade[1], on trouve dans la Drenthe un autre système d’exploitation déjà plus avancé, mais qui rappelle cependant les plus antiques usages de la Germanie primitive. La Drenthe est la province la moins peuplée de la Néerlande : sur ses 266,276 hectares, elle ne comptait en 1860 que 94,472 habitans, c’est-à-dire 36 par 100 hectares. A la fin du siècle dernier, en 1796, elle n’en avait que 39,672, dont seulement 5,789 n’appartenaient pas directement aux classes rurales. Entourée de toutes parts de marais et de tourbières, la Drenthe formait comme une île de sables et de bruyères où s’étaient conservées intactes les coutumes des aïeux. On y retrouve encore de nos jours l’antique organisation de la marche saxonne, la saxena marke[2],

  1. La culture du sarrasin sur les tourbières ne parait s’être introduite dans le nord des Pays-Bas et de l’Allemagne que vers la fin du XVIIe siècle. Une tradition assez peu sûre en attribue l’introduction à un certain Jan Kruse, de Wildervank ; mais, puisque cette pratique est tout à fait semblable à celle que suivent les Tartares depuis un temps immémorial, ne faut-il pas en chercher ailleurs l’origine, quoiqu’on ne puisse guère savoir comment elle a été transportée on Hollande.
  2. La marke était tout le territoire appartenant à la tribu ou à un groupe de familles dans la tribu. Elle comprenait le bois, la plaine et les champs (het houd ; het veld en de essch) ; mais le nom de marke (marche) s’appliquait surtout aux vastes terrains vagues qui entouraient les terres cultivées, et qui formaient une lisière inhabitée destinée à servir de frontière. L’origine de la marke se perd dans l’obscurité des temps anté-historiques. Au moyen âge, elle nous apparaît chez tous les peuples de race germanique ou Scandinave comme une association d’hommes libres se concertant pour jouir en commun d’un bien où chacun a sa part. Quand nous pouvons la saisir dans les provinces saxonnes des Pays-Bas, la propriété individuelle a déjà empiété sur la communauté primitive, et depuis lors jusqu’à nos jours l’organisation n’a plus guère changé. Une part dans la marke s’appelait whare, et ceux qui possédaient des wharen portaient le nom d’erfgenamen, héritiers, c’est-à-dire participans à l’héritage social. Les possesseurs d’une whare, les gewaarde-markgenoten, avaient le droit d’envoyer paître leurs troupeaux sur la bruyère de la marke et d’y couper des mottes pour la litière du bétail et pour leur chauffage.