Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/375

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les années que Vinet passa dans le canton de Bâle furent les années décisives de sa carrière. Peu de temps après son installation à l’université (1819), il avait épousé une compagne digne de lui ; sa vie était grave et douce, laborieuse et charmante. Ne croyez pas cependant qu’une telle âme pût se contenter d’une sorte de quiétisme intellectuel et moral. Les grands problèmes qui empêchent l’âme de s’engourdir, les problèmes de la vie et de la mort, du présent si court, si misérable, et de l’avenir éternel, avaient saisi sa conscience pour la remuer de fond en comble. La théologie, qui l’attirait bien peu quand elle n’était pour lui qu’une étude officielle, extérieure, sans rapport avec son être, la théologie chrétienne était devenue sa préoccupation la plus vive depuis que son âme blessée avait besoin d’un sauveur. Quelle était cette blessure ? En quoi consiste la crise que Vinet traversa en 1822 ? Était-ce l’esprit avec ses doutes qui se trouvait en jeu, ou bien le cœur avec ses passions ? Je ne puis croire que la maladie seule, — bien qu’un accident très grave ait compromis sa santé vers cette époque, — je ne puis croire que la maladie et la crainte de la mort suffisent à expliquer le changement de ses croyances. L’avertissement ne vint pas du dehors, mais du dedans. Il y eut une crise aussi spontanée que profonde, il y eut une lutte violente, un combat à mort, j’entends un de ces combats où l’on meurt pour revivre. Aucun des amis de Vinet n’a reçu à ce sujet de confidences particulières ; mais le chrétien transformé indiquait assez nettement la gravité de cette révolution accomplie au fond de son être, quand il la résumait plus tard en ces fortes paroles : « être convaincu, c’est avoir été vaincu. »

Les doctrines généreuses qui font l’originalité de Vinet ont jailli comme une flamme de cette lutte avec les puissances invisibles. Il comprit que le christianisme était une force libre et n’agissait efficacement que sur les âmes libres ; il comprit que la foi d’autorité n’avait ni racines ni sève, qu’elle portait des fruits vénéneux, qu’elle excitait les âmes d’élite à des révoltes impies, tandis que chez le plus grand nombre elle engendrait l’hypocrisie et tuait la charité. L’Évangile affranchi de toute protection, l’âme dégagée de toute contrainte, tels furent désormais les deux principes auxquels Vinet consacra son existence, et l’on peut affirmer en effet que, pendant un quart de siècle, pas une parole tombée de ses lèvres, pas une ligne tracée par sa plume ne furent infidèles à cette pensée.

Une telle confiance dans l’efficacité de l’Évangile ne se rattachait pas seulement aux luttes intimes où s’était accompli le réveil de s conscience, elle tenait surtout à la profondeur et à l’originalité de sa théologie. Cette théologie, décrivons-la d’un seul mot, c’était une psychologie vivante. Au lieu de recevoir sa religion comme