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mieux vaut « surmonter le mal par le bien, absorber l’erreur dans la vérité, virtutem videant ! » Toutes vos paroles « doivent être ailées et armées. » S’il s’agit de prouver les dogmes fondamentaux, point de subtilités ni de surprises ; « à l’argumentation indirecte préférez toujours l’argumentation directe, c’est la seule qui convienne aux forts. Bourdaloue y excelle, et voilà pourquoi Bourdaloue est un puissant orateur. « Vous le trouvez trop terne, trop méthodique ; Vinet, qui l’étudie de plain-pied, signale chez lui avec admiration « une virtuosité, une bravoure que rien n’intimide. » Singulier rapprochement ! un célèbre prédicateur catholique de nos jours, M. de Ravignan, faisant un cours d’éloquence religieuse en 1846 dans une maison de son ordre, citait les grands modèles et disait : « Bourdaloue, Bourdaloue encore, c’est le roi : » Voilà précisément ce qu’avait répété cent fois le professeur de Lausanne, et ce n’était pas dans sa bouche un éloge de tradition ou de convenance. Il justifiait son dire preuves en main, avec la précision d’un maître initié à tous les secrets de son art. On peut dire que Bourdaloue, Bossuet, Massillon, mais Bourdaloue avant les autres, expliqués et commentés par Vinet, ont enseigné la parole chrétienne aux jeunes théologiens du pays de Vaud.

Il est vrai que, dans ce cours si richement ordonné, Vinet avait d’autres auxiliaires. Après avoir formulé la théorie de la prédication, il en raconta l’histoire. Il fit à ce sujet deux tableaux parallèles, l’un consacré aux prédicateurs catholiques, l’autre aux prédicateurs protestans du XVIIe siècle. Ce dernier est une page importante restituée à notre histoire littéraire. On ne connaît guère parmi nous ces graves orateurs chrétiens de l’église persécutée, Pierre Du Moulin, Michel Le Faucheur, Jean Mestrezat, Jean Daillé, Moïse Amyraut, Raymond Gâches, tous antérieurs à Bossuet et qui ont tant contribué à purifier la chaire chrétienne. Connaissons-nous beaucoup mieux les orateurs de la seconde moitié du siècle, Jean Claude et Pierre Du Bosc, Daniel de Superville et Jacques Saurin ? On les trouvera tout entiers dans l’ouvrage de Vinet[1]. Ne craignez

  1. Histoire de la Prédication parmi les réformés de France au dix-septième siècle, par A. Vinet, 1 vol. in-8o, Paris 1860. — L’importance de ce travail n’a pas échappé à l’auteur d’une thèse remarquable présentée récemment à la Faculté des lettres de Paris. « Les protestans, dit M. Jacquinet, attentifs à combler toute lacune de leur histoire religieuse et littéraire, gardiens vigilans de tous les souvenirs qui peuvent honorer leur foi et leur génie, ont pris soin de rendre à leurs pasteurs orateurs du règne de Louis XIII l’honneur qui est encore dû à nos prédicateurs catholiques du même temps… Le cours dans lequel M. Vinet a raconté la vie de ces hommes énergiques, analysé leurs ouvrages et caractérisé leur parole, ce cours, revu et publié, depuis la mort du maître, par d’habiles disciples, est un livre complet… » Voyez Des Prédicateurs du dix-septième siècle avant Bossuet, par M. Jacquinet ; 1 vol. in-8o. Paris 1863. — Nous devons ajouter que, grâce à M. Jacquinet, nos vieux prédicateurs catholiques du XVIIe siècle n’ont plus rien à envier à leurs émules de la communauté protestante ; l’exemple de M. Vinet a porté ses fruits jusqu’au sein de nos grandes écoles.