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I.

Nous passerons rapidement sur les accusés vulgaires pour arriver immédiatement aux personnages historiques. Notons cependant que deux cent quarante-six individus se virent enveloppés dans l’accusation, que, dans le nombre, trente-six furent punis de mort après avoir subi la question ordinaire et extraordinaire, et que, parmi ceux qui eurent la vie sauve, les uns furent condamnés à la prison perpétuelle, aux galères, à l’exil, les autres détenus arbitrairement jusqu’à la fin de leurs jours. Les plus coupables étaient condamnés pour le fait d’empoisonnement, de sortilèges, de messes impies avec sacrifice de jeunes enfans. La fable des Devineresses, qui date de cette époque, résume on ne peut mieux le mobile de tous ces crimes.

Perdoit-on un chiffon, avoit-on un amant,
Un mari vivant trop au gré de son épouse.
Une mère fâcheuse, une femme jalouse :
Chez la devineuse on couroit.

Après le poète, écoutons le principal rapporteur et le véritable directeur de l’affaire, La Reynie. « La femme La Bosse (une des accusées qui furent brûlées vives) dit qu’on ne fera jamais mieux que d’exterminer toutes ces sortes de gens qui regardent dans la main, ce qui est la perte de toutes les femmes de qualité et autres, parce qu’on connoît bientôt quel est leur foible, et c’est par là qu’on a accoutumé de les prendre, quand on l’a reconnu. »

Celle qui donna son nom au procès, la femme Voisin ou Monvoisin, était une ancienne accoucheuse. Trouvant le métier trop peu lucratif, elle avait imaginé de spéculer sur la crédulité publique, en faisant les cartes et tirant des horoscopes. C’était le premier pas vers une profession plus productive, mais plus dangereuse, la vente des philtres et des poisons. La Voisin y fit merveilles. Signalée par un des accusés sur lesquels La Reynie avait fait main basse après la découverte du billet révélateur de l’église des jésuites, elle fut arrêtée la veille d’un jour où elle se proposait de remettre au roi un placet en faveur d’un militaire nommé Blessis, son amant, et ce fut surtout par suite de ses dénonciations qu’eurent lieu les arrestations qui émurent la société parisienne. D’après ses aveux, deux dames de la cour, la comtesse du Roure et Mme de Polignac, l’avaient consultée, il y avait déjà plusieurs années, pour obtenir l’amour du roi et se défaire de Mme de La Vallière. La Voisin alla plus loin et prétendit que la comtesse de Soissons, désespérée de voir que, malgré tous les sortilèges et enchantemens mis en œuvre pour le détacher de sa maîtresse, Louis XIV lui restait fidèle, aurait dit : « S’il ne revient