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mois par laquelle le roi a été informé de ce que le nommé Debray[1] a dit de la sollicitation qui lui avoit été faite par un homme de la dépendance de M. Fouquet. Sa majesté ne doute point que vous ne fassiez toutes les diligences possibles pour que, avant l’exécution de cet homme, s’il est condamné, il éclaircisse ce fait. »

Quoi qu’il en soit de ces indices, sur lesquels il faut bien se garder d’asseoir un jugement définitif, la chambre de l’Arsenal avait enfin terminé son œuvre. Sur les deux cent vingt-six accusés traduits à sa barre, trente-six avaient péri par la corde, par le fer ou par le feu. Les autres étaient confinés dans les prisons d’état, soit en vertu d’un arrêt, soit arbitrairement. Un très petit nombre, comme la duchesse de Bouillon, le duc de Luxembourg, M. de Feuquières, avaient été rendus à la liberté ou exilés. Plein d’énergie et de résolution, ne ménageant personne, jusqu’au moment où des ordres suprêmes lui eurent enjoint de changer de système, La Reynie s’était attiré mille inimitiés. La famille de Bouillon était parmi les plus irritées. On sait que la duchesse était accusée d’être allée chez la Voisin pour lui demander de la débarrasser de son mari. Le jour fixé pour son interrogatoire, elle s’était rendue à l’Arsenal accompagnée de son mari même, suivie d’un cortège de plus de vingt carrosses. Mme de Sévigné a raconté avec son esprit ordinaire (lettre du 31 janvier 1680), d’après la version de la duchesse, son interrogatoire, ses impertinences envers la chambre, et comment en sortant « elle fut reçue de ses parens, amis et amies, avec adoration, tant elle étoit jolie, naïve, naturelle, hardie, et d’un bon air et d’un esprit tranquille. » L’interrogatoire officiel est plus sérieux, et il en résulte qu’après être d’abord allée chez la Voisin, la duchesse de Bouillon avait reçu plusieurs fois chez elle ce Lesage, chargé de toutes les horreurs du procès, et qui ne dut la vie qu’à ses révélations. Un autre accusé, Antoine de Pas, marquis de Feuquières, dont Louvois parle dans une de ses lettres, et qui fut aussi renvoyé avant jugement, n’avait pas le lieutenant de police en moindre haine. « Quoique je ne doute pas, écrivait-il, que La Reynie, qui est un fol enragé, ne donnât la moitié de son bien pour que je fusse coupable, il faut le laisser faire sans rien dire… Il a par ses noirceurs calomnié et fait pousser trop d’honnêtes gens pour qu’un jour on ne lui sache pas fort mauvais gré des pas auxquels il a engagé des gens qui ne sont pas à s’en repentir. » Mme de Sévigné, pour sa part, mandait à sa fille : « La réputation de M. de La Reynie est abominable. Ce que vous dites est parfaitement bien dit. Sa vie justifie qu’il n’y a point d’empoisonneurs

  1. Le nom est douteux. Un accusé ainsi nommé fut condamné à être étranglé.