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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/442

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dominés que par un labeur acharné et par un capital abondant. Les vastes étendues de terrain ne sont une richesse qu’autant qu’elles se trouvent fécondées par le travail d’une population nombreuse et active. Tant vaut l’homme, tant vaut la terre, car c’est l’homme qui lui infuse la vie. C’est « l’homme qui fait la terre, » suivant l’énergique expression de M. Michelet ; or les paysans, à peine affranchis, ont besoin de temps pour secouer les vices et l’ignorance, cortège fidèle de l’esclavage, et pour conquérir l’énergie morale. Jusque-là, la production agricole, cette base fondamentale de la richesse du pays, ne peut que diminuer. Le paysan continuera à exploiter son champ avec une incurie traditionnelle, et le grand propriétaire sera forcé de réduire les ensemencemens. La main-d’œuvre va devenir de plus en plus rare et chère. Ajoutez encore le nombre incroyable de jours fériés, car le paysan russe peut bien, lui aussi, dire qu’on le ruine en fêtes. Une augmentation d’impôts sera donc de longtemps impossible ; le budget des recettes doit demeurer stationnaire. C’est du budget des dépenses qu’il faut s’occuper : le diminuera-t-on facilement ?

Le service de la dette publique absorbe 57,457,217 roubles environ (230 millions de francs). Loin de songer à réduire ce chapitre, le gouvernement russe fait de vains efforts pour l’augmenter en essayant de contracter de nouveaux emprunts. Le ministère de la guerre et celui de la marine absorbent environ 134 millions de roubles (536 millions de francs). Ici encore on remarque une tendance périlleuse vers un accroissement de charges. Tout a renchéri en Russie, notamment par suite de la dépréciation du papier-monnaie, et l’entretien du soldat ayant été quelque peu amélioré, il en résulte une double cause d’aggravation pour la dépense.

C’est en faisant ressortir l’importance de ses forces militaires que la Russie aime à se poser devant le monde comme une puissance prépondérante. Le fameux « million de soldats » dont parlent tant de statistiques n’existe en réalité que sur le papier. La guerre de Pologne vient de montrer combien l’ensemble des troupes disponibles s’éloigne de ces données fantastiques. Et comment pourrait-il en être autrement ? Depuis 1856, il n’y a pas eu de recrutement : celui qu’on opère à cette heure, en laissant de côté les anciennes provinces polonaises, ne fournira pas de si tôt des soldats capables de tenir la campagne, car ils ont besoin, en Russie plus qu’ailleurs, d’être longtemps exercés. Quelle est en réalité l’importance actuelle des forces militaires ? L’auteur d’un excellent ouvrage de statistique comparée[1], M. Kolb, n’estimait récemment l’armée active

  1. Handbuch der vergleichenden Statistik, 3e édition, 1862.