Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/544

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mille se trouve dans une coutume étrange, entrevue déjà par Cook, et sur laquelle Mœrenhout a justement insisté. Le mari adulte ne jouit de tous ses privilèges qu’autant qu’il n’a pas d’enfant mâle. Aussitôt qu’il lui naît un fils, il est obligé d’abdiquer entre ses mains et ne conserve qu’un usufruit temporaire de sa position précédente. S’il était chef, il devient régent ; s’il était simple propriétaire, gérant. L’enfant qui vient de naître est le chef de la famille[1]. On comprend quelles haines odieuses doivent être la conséquence d’un pareil état de choses. Le père voit et trouve souvent un tyran dans celui que la nature destinait à lui être subordonné ; le fils ne saurait conserver de respect pour celui qui est tenu d’obéir à ses caprices. Toutes les basés de la famille sont sapées à la fois.

Là est certainement la cause première des infanticides si fréquens chez les Polynésiens. Le meurtre des enfans était ordonné par la loi dans certaines circonstances. Par exemple, le fils d’un chef et d’une femme de classe inférieure devait être mis à mort aussitôt après sa naissance. Cet odieux sacrifice était obligatoire, quel que fût le sexe de l’enfant, dans la société des aréoïs. Enfin l’infanticide était très commun dans les conditions ordinaires et restait toujours impuni. Peut-être cette tolérance avait-elle un but politique. La plupart des îles de la Polynésie sont petites ; elles ne présentent que des moyens de subsistance assez bornés, et les habitans y devenaient bien vite trop nombreux[2]. L’infanticide était un moyen cruel, mais sûr, de prévenir ou de retarder le développement excessif de la population. Aussi portait-il principalement sur les filles, dont un tiers à peine échappait à la proscription, tandis qu’on épargnait en général les enfans mâles.



III. — caractères religieux et moraux.

Je viens de prononcer le nom des aréoïs, et il est impossible de passer sous silence cette association étrange qui, par son extension et l’influence qu’elle exerçait, constituait une véritable institution des plus caractéristiques, à demi laïque, à demi religieuse. Les aréoïs formaient une société composée d’hommes et de femmes divisés en sept classes, que distinguaient autant de tatouages particuliers. Là seulement l’inégalité du sang disparaissait en partie. Sorti des rangs les plus inférieurs de la société, on pouvait arriver

  1. Ces abdications rappellent, mais d’une manière très exagérée, un trait des mœurs japonaises.
  2. On a un exemple frappant de ce fait dans ce qui s’est passé à Pitcairn. Les descendans des révoltés de la Bounty ont été forcés de s’expatrier au bout de soixante-six ans, faute de pouvoir se nourrir dans cette île qui les avait vus naître, et qu’ils quittaient en pleurant.