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ont imprimé en quelque sorte leur caractère au mouvement religieux de ces dernières années, en le résumant dans des idées, dans des tendances contre lesquelles ce que nous nommons, nous, la civilisation, est une protestation permanente et incessante. Et ne dites pas que ce sont des conjectures purement chimériques, que ces influences extrêmes n’ont pas la puissance et le degré d’autorité qu’on leur suppose. Il y a moins d’un mois encore, n’avez-vous pas vu un des prélats les plus ardens à la lutte et les plus féconds, auprès de qui les jésuites sont le plus en faveur, je crois, M. l’évêque de Montauban, donner, comme une doctrine invariable et actuelle de l’église, la condamnation de toute liberté de conscience et de pensée ? Et si des esprits sincères dans leurs idées de conciliation entre le catholicisme et la liberté, si ces esprits se mettent à la recherche d’une transaction avec les partisans de la libre pensée ; Mgr de Montauban leur dira : «…Vous n’avez pas qualité pour stipuler et transiger. Vous n’avez ni mission, ni délégation, ni autorisation authentique de qui seul aurait le droit de vous la donner. Pliez donc vos voiles et laissez le pilote gouverner à son gré… » On ne saurait mieux évincer le libéralisme catholique en lui disant qu’il se mêle de ce qui ne le regarde pas, et en revendiquant pour l’église le droit de l’inflexibilité, de l’immobilité dans une théorie extrême.

Or, qu’on transporte cet esprit, cette influence, dans l’éducation publique, il en résultera une conséquence d’une étrange gravité, c’est qu’avec du dévouement, de l’habileté et de l’aptitude à gouverner l’enseignement, on arrivera à former au sein de la société deux sociétés d’un esprit différent, de croyances contraires. On n’arrivera pas à créer des hommes réellement religieux, on formera des hommes dont l’idéal sera un catholicisme violent, ou qui, en échappant au joug, en rentrant dans la vie ordinaire, tomberont dans l’athéisme et toutes les révoltes de la pensée. C’est là certainement un danger. Et le malheur est que, par une étrange combinaison, la renaissance et l’extension de cette influence dans d’éducation ont coïncidé avec l’affaiblissement évident des études philosophiques et littéraires dans les maisons de l’état, dans l’éducation laïque, de telle sorte que, de ces deux systèmes d’enseignement, l’un a grandi, l’autre a baissé au contraire, et que dans les luttes de notre temps c’est l’esprit moderne qui se présente, sinon désarmé, du moins affaibli et inquiet de sa faiblesse même, hardi et très pourvu de connaissances dans les choses matérielles, timide et indécis dans les choses morales. Voilà le point douloureux, et c’est du sentiment de cette situation que naît la nécessité de relever ces cultures morales, d’imprimer aux études une nouvelle et énergique impulsion.

C’est le destin des livres, même des livres imparfaits ou hasardeux,