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Caucase. Conçoit-on maintenant la pression formidable à laquelle durent être soumis, de la part des nouveaux arrivans, les essaims d’émigrans qui, les premiers, cherchèrent un refuge dans cette région resserrée ? Ne voit-on pas comment, sous cette pression croissante, le Caucase lui-même ne put longtemps contenir le flot humain qui débordait, et avec quelle vigueur les peuples aryens jaillirent de ce corps de pompe trop étroit pour rayonner en très peu de temps jusqu’aux extrémités sud, ouest et nord de l’Europe ? Ils allèrent en avant, toujours en avant, comme ils vont encore, vers le far west inconnu. Il faut que le rameau celtique ait pris dès lors l’avant-garde, cherchant déjà la terre de promission au bout du monde, car lorsqu’il s’arrêta devant la barrière pour longtemps infranchissable de l’Atlantique, il s’appelait encore du nom qu’il portait avant de franchir le Caucase. L’r-lande, l’Hibernie ou lbh-ernie[1], la verte Erin n’est pas autre chose que le pays des Eres ou Ires, et il se pourrait bien que l’lbéric elle-même n’eût pas d’autre signification.

Il ne faudrait pas reporter, cela ressort de soi-même, les habitudes et les facilités d’émigration des temps modernes à cette période antérieure à toute histoire, et pendant laquelle notre grande voie d’émigration lointaine, la mer, constituait au contraire le plus grand obstacle à l’expansion des races. Il a sans doute fallu des siècles à des mouvemens de population qui n’auraient besoin de nos jours que de quelques années pour s’accomplir. C’est donc à la condition de contempler les choses de très loin et de très haut qu’on voit se dessiner la configuration idéale des migrations aryennes, telles que nous venons de la tracer. Il est toutefois un fait important à relever et qui prouve en faveur de notre théorie, c’est que les sous-races européennes ne sont pas entrées en conflit sur une large échelle avant l’époque historique. Du moins les luttes des Gaulois et des peuples latins seraient la seule exception notable aux rapports ou plutôt à l’absence de rapports qui si longtemps fut la règle entre les Gréco-Latins d’une part et les peuples du nord de l’autre. À défaut de l’histoire, le mythe, la légende eussent gardé en Europe les traces de pareils conflits, comme ils ont conservé en Orient le vague souvenir des guerres sans fin entre les fils d’Éradsch ou Iraniens et les fils de Tür ou Touraniens. Or le mythe, la légende sont muets sur ce point, et cela permet de supposer que le développement des sous-races européennes s’est fait en lignes à peu près parallèles.

À peine les Gréco-Latins ont-ils franchi les portes caucasiennes

  1. Ibh, en irlandais, signifie pays, tribu.