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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/739

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Ils servent à compléter les équipages des bâtimens de pêche, auxquels la loi impose à dessein un effectif exagéré, vingt hommes pour les navires au-dessous de 100 tonneaux, trente hommes pour ceux de 100 à 150 tonneaux, et cinquante hommes au-delà. Telle est la théorie de l’institution ; voyons la pratique, étudiée sur les lieux et d’après nature.

De même qu’au départ de France l’équipage d’un navire de pêche se compose dans une proportion indéterminée des inscrits définitifs et des inscrits provisoires dont nous venons de parler, de même sur les lieux le travail se dédouble. Les inscrits définitifs, c’est-à-dire les véritables matelots, restent à bord, et vont tendre leurs lignes sur les bancs, où, en cape loin de terre pendant des semaines et des mois, de toutes les existences, ils affrontent la plus rude et la plus dangereuse qui soit réservée à l’homme de mer. Les inscrits provisoires au contraire débarquent dès l’arrivée et sont exclusivement employés à terre pendant toute la saison. Faire sécher le poisson, l’étaler le matin au soleil sur des grèves de galets aplanies et dessinées comme les parterres d’un jardin français, le retourner à midi, le remettre en tas le soir, le presser au cabestan au fond des boucauts où il sera expédié au-delà des mers, telle est la tâche des inscrits provisoires ou des graviers, comme on les appelle par allusion aux grèves où ils étalent le poisson. Aussi leur apprentissage maritime est-il nul. Raccolés parmi les plus pauvres et les plus abrutis des mendians de Bretagne, de Gascogne et de Normandie, ils s’engagent à raison d’une somme qui varie de 50 à 100 fr. pour une saison que certains armateurs font durer jusqu’à neuf mois. Dimanches et fêtes, tout leur temps est vendu pour cette solde chétive, qui leur laisse à peine de quoi changer de loin en loin les haillons dont ils sont vêtus.

Certes, à voir les logemens qu’on leur donne, ces couchettes superposées où ils sont entassés en proie à la vermine, ces paillasses infectes dont les maigres gibbosités sont à demi cachées par une couverture en lambeaux, à voir en un mot dans sa cruelle réalité toute cette misérable existence, on comprend du premier coup d’œil que la faim seule, malesuada fames, a pu faire accepter à ces malheureux une aussi sordide exploitation. Rarement ils reviennent une seconde année, presque jamais une troisième, et à coup sûr la marine, dans ce premier essai, s’est offerte à eux sous un jour trop peu séduisant pour les engager à y persévérer, en se transformant d’inscrits provisoires en inscrits définitifs. Quiconque a vécu, si peu que ce soit, au milieu de cette population ne saurait conserver aucun doute à cet égard. On ne combat d’ailleurs ici que le, principe des primes, et l’on a voulu montrer à quelles bizarres conséquences