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de sa conduite, cette sorte de scepticisme qu’il affectait pour toutes les opinions, n’ont pas moins nui à son talent qu’à son caractère. S’il avait su mettre plus d’unité dans sa vie, s’il s’était attaché de bonne heure à quelque parti honnête, ses qualités, trouvant un emploi digne d’elles, auraient atteint leur perfection. Il aurait pu succomber sans doute, mais mourir à Pharsale ou à Philippes est encore un honneur dont la postérité tient compte. Au contraire, comme il a changé d’opinions autant de fois que d’intérêts ou de caprices, comme il a tour à tour servi les partis les plus opposés sans croire à la justice d’aucun, il n’a jamais été qu’un orateur incomplet et qu’un politique de hasard, et il est mort sur un grand chemin comme un malfaiteur vulgaire. Cependant, malgré ses fautes, l’histoire a quelque peine à le maltraiter. Les écrivains anciens ne parlent jamais de lui qu’avec une secrète complaisance. L’éclat qui entoura sa jeunesse, les agrémens de son esprit, l’élégance qu’il sut conserver jusque dans les plus tristes désordres, une sorte de franchise hardie qui l’empêchait de chercher des prétextes honorables pour des choses qui ne l’étaient pas, cette vue nette des situations dans la vie politique, cette connaissance des hommes, cette fécondité de ressources, cette vigueur de résolution, cette intrépidité à tout oser et à jouer sans cesse sa tête, tant de brillantes qualités mêlées à de si grands défauts ont désarmé les juges les plus rigoureux. Le sage Quintilien lui-même, si peu fait pour comprendre cette nature emportée, n’a pas osé cependant être sévère pour lui. Après avoir loué les grâces de son esprit et son éloquence mordante, il se contente d’ajouter pour toute morale : « C’était un homme qui méritait de se conduire mieux et de vivre plus longtemps, dignus vir cui mens melior et vita longior contigisset ! »

Au moment où mourut Cælius, cette jeunesse élégante dont il était le modèle, et que les vers de Catulle et les lettres de Cicéron nous ont permis de connaître, avait déjà disparu en partie. Il ne restait presque aucun de ces jeunes gens qui brillaient aux fêtes de Baïes et qu’on applaudissait au Forum. Catulle était mort le premier, au moment où son talent, mûri par l’âge, devenait plus sérieux et plus élevé. Son ami Calvus allait le suivre de près, emporté à trente-cinq ans, sans doute par les fatigues de la vie publique. Curion avait été tué par les soldats de Pompée, comme Cælius le fut par ceux de César. Dolabella seul survivait, mais pour périr quelques années plus tard dans d’affreuses tortures. C’était une génération révolutionnaire que la révolution moissonnait, car il est vrai de dire, selon le mot célèbre, que dans tous les temps comme dans tous les pays elle dévore ses enfans.


GASTON BOISSIER.