— dérision ! pensait Lucy en se tordant les mains. . . Mais cette porte était donc fermée pour jamais !
Elle s’ouvrit ; la baronne reparut. Son visage de cire était illuminé d’un sourire tout angélique. Lucy n’en put supporter la vue et baissa la tête en se disant : C’en est fait... — Debout sur le seuil de l’oratoire, la baronne d’Espérilles avait la cruauté de garder encore le silence. Enfin elle parla : — Ma chère enfant, dit-elle, je consens à tout, il le permet. — Ce pronom désignait Dieu sans doute. — Cependant, reprit la généreuse et charitable parente, c’est une bien étrange aventure ; aussi je veux vous imposer quelques conditions. XII.
Julien attendait Lucy chez elle depuis longtemps quand elle rentra. Il s’était assis devant le foyer, tout près de la flamme qui lui bridait le visage, le front appuyé contre le marbre de la cheminée. M’" d’Espérilles pénétra sans bruit dans la chambre, et, étant demeurée un instant à le considérer sans qu’il se doutât de sa présence, elle fit la réflexion qu’il n’avait point l’air d’un homme heureux.
Il méditait trop, il méditait sans cesse ; ce froid ensevelissement de son bonheur en soi-même déconcertait la jeune femme. Elle n’était point faite ainsi ; à présent surtout qu’elle se voyait débarrassée de toute frayeur importune, délivrée de ce cortège d’ombres qui l’avait suivie sans relâche depuis le retour de Julien, elle sentait bien qu’elle allait porter comme un bouquet odorant les mille et un enchantemens dont elle était pleine, l’offrant à respirer à tous et disant : Jouissez de mes joies, et des belles choses que mon cœur a retrouvées quand il ne l’espérait plus ; embaumez, si vous voulez, votre cœur ! — Elle s’avança donc doucement vers ce songeur opiniâtre et vint tout à coup se poser à son côté. Dans sa surprise, il tressaillit de la tête aux pieds, et son regard se fixa sur elle, trouble et inquiet comme celui d’un homme assis dans les ténèbres et qui voit une apparition se glisser auprès de lui. — Que veux-tu, belle figure blanche et souriante, avec ta blancheur et ton sourire ? Est-il possible que tu ne sois que le mauvais ange ? — Toutes les fois qu’il la voyait ainsi sans s’être préparé à la voir, il avait d’abord ce regard si différent de celui qu’il arrêtait sur elle quand il s’était rendu le maître de son cœur.
Mais elle n’y fit pas plus d’attention que de coutume. Avec cette confiance naïve et superbe de la femme qui se sent aimée, elle lui présenta sa main à baiser, et il la baisa. Elle ne la lui retira qu’avec peine, car ses lèvres s’y étaient attachées de toutes leurs forces. Elle s’assit alors, et au lieu de lui parler se mit à fredonner, en le regar-
