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LA BAGUE D’ARGENT.

en sursaut et le surprendre au milieu de cette rêverie où le plongeait la lecture de ce journal mystérieux, il y avait admirablement réussi. Non, le malheureux n’était pas guéri. Cette question fut comme le fer chaud qui pénètre dans la blessure : on sent passer l’odeur de la chair brûlée ; mais tout cela ne dure qu’une seconde.

— Non, dit Julien, je ne me soucie plus de tuer personne. Il s’assit de nouveau, et d’un geste parfaitement calme attira et rassembla une masse énorme de billets de banque épars sur une table derrière lui. Sans abandonner le journal qu’il tenait toujours d’une main, il se mit de l’autre, lentement et à haute voix, à compter ces billets. Au cinq centième billet de mille francs, il s’arrêta ; puis, relevant les yeux vers Horace, il lui fit une question à son tour, mais muette.

Horace la comprit ; mais on ne dépouille jamais entièrement le vieil homme : il ne put s’empêcher de sourire et fit un geste de dénégation énergique. — Non, non, il n’était pas aussi bien instruit que Julien paraissait le croire ; non, il ne savait pas tout, il s’en fallait bien !

— N’importe ! dit Julien ; ces cinq cents billets de mille francs, tu l’as deviné, sont pour elle ; je t’ai choisi pour les lui remettre. C’est la moitié de ce que je possède, et j’ai pensé que ce partage, qui est le plus simple arrangement du monde, était préférable à un contrat.

Il faut rendre justice à Horace Raison : ici il ne songea plus à sourire, il ne songea plus à être curieux ; il n’éprouva plus qu’un soulagement immense, un chaud sentiment d’aise et de plaisir en regardant son ami et en se disant : Il est sauvé ! — Est-il probable en effet qu’un homme qui garde cinq cent mille francs pour lui se dispose à mourir ? La somme est trop forte pour payer sa tombe. Et, poussé par l’instinct du cœar, sans trop savoir ce qu’il faisait, ce qui ne lui était pas ordinaire, Horace saisit la main de Julien.

— Tu me serres la main parce que tu es content de moi, lui dit Julien avec un morne sourire. Prends garde à ce journal que je tiens et ne va pas le froisser dans ton étreinte, car c’est lui qui te donnera tout à l’heure la clé de ma vie : il te fournira le secret de mon long courage dans l’exil et de mon retour en France, où je me croyais toujours regretté, aimé, attendu ; mais vois d’abord ce que je lisais.

— « Vingt francs de récompense à qui rapportera une bague d’argent, » lut Horace, et il se tut, car il n’aimait point à ne pas comprendre, et pourtant il ne comprenait pas.

— Oh ! dit Julien, c’est une histoire assez longue, et je ne sais trop si tu l’écouteras bien patiemment jusqu’au bout. Ceux qui.